SON LOUP ALPHA

Préface

Hil

 

J’ai réussi! Je n’arrive pas à croire que ça ait marché. Même si nous sommes censés être surveillés 24h/24 par le service de sécurité, j’ai convaincu mon père de dire à mon frère de nous emmener, mon meilleur ami Dillon, et moi, à la fête foraine. En pleine soirée… et sans surveillance.

Une fois sur place, Dillon et moi avons demandé à aller dans le palais des glaces. Rémy, qui n’avait pas du tout envie d’être là, a accepté après quelques hésitations. Une fois à l’intérieur, Dillon a distrait Rémy pendant que je trouvais la sortie et prenais la fuite.

C’est comme un miracle. J’ai presque l’impression d’être le héros d’un film d’espionnage. Mais j’avais beau être excité comme un fou d’être enfin libre pour la première fois de ma vie, je n’en étais qu’à la première partie de mon aventure.

J’avais passé ces derniers jours à planifier tout cela et à convaincre Dillon de m’aider car je devais rencontrer quelqu’un. Cela va avoir l’air tout droit sorti d’un mauvais film, mais je pense avoir rencontré le garçon avec qui je vais passer le reste de ma vie. Il a dit que nous étions faits l’un pour l’autre, destinés à être des âmes sœurs l’un pour l’autre et je pense qu’il a raison.

Je sais ce que tout le monde va penser si je leur raconte ça. ‘Hil, tu fais quoi à écouter un type que tu as rencontré sur Internet. Tu as 14 ans, pas 8.’ Dillon m’a déjà fait ce discours. Mais ça n’a rien à voir. Et je ne suis pas un crétin.

Je l’ai rencontré sur un forum de discussion du Dark Web. Je sais que ça peut paraitre inquiétant, mais ça ne l’est pas. C’est juste une version d’Internet un peu plus privée. Et quand on a des secrets, comme moi, comme toute ma famille, c’est encore la meilleure option.

Par exemple, vous ne pourriez pas trouver un groupe de discussion pour les métamorphes sur Tumblr. Je retire ce que j’ai dit. J’en ai vu un là-bas. Mais tous ceux qui en font partie sont juste des losers qui rêvent d’en être. Il y a quand même un mec que son père a transformé en loup métamorphe dès sa naissance. Et il est à peu près la personne la plus célèbre du monde.

Tout le monde veut être lui. Ils aiment à croire que s’ils le veulent suffisamment fort, ils pourraient se transformer en loup en cas de grosse colère. C’est juste une énorme légende urbaine.

En tant que métamorphe, ou du moins en tant que personne dont le père est un loup, je trouve cela très ennuyeux. N’est-ce pas, genre, de l’appropriation culturelle ou quelque chose comme ça? Ou, ça ne le serait pas une fois que j’aurais commencé à me métamorphoser.

Mon père dit que je suis un retardataire. Et que Rémy l’est aussi. Lui surtout, parce qu’il a 17 ans et qu’il ne s’est toujours pas transformé. Père dit que c’est parce que notre mère était humaine. Il s’inquiète du fait que cela puisse avoir sauté une génération.

C’est pourquoi j’ai participé à des forums sur le Dark Web. Je cherchais des métamorphes de mon âge en sachant plus que moi sur le sujet. C’est alors que j’ai rencontré Edwin. Et, oui, c’est bien un garçon de 16 ans, pas un vieux pervers qui cherche à s’envoyer un jeune garçon. Nous avons même échangé des photos.

Cela lui a pris du temps pour me convaincre de lui en envoyer une. Je ne suis pas fan de selfies, on dirait toujours que j’ai 12 ans sur ces photos. Probablement parce que c’est à ça que je ressemble. Mais quand j’ai fini par lui envoyer une photo de moi, il m’a dit que j’étais parfait.

Évidemment, je ne le suis pas. Je le sais. Mais le truc, c’est qu’il n’arrêtait pas de le dire.

“Hil, tu es parfait. Hil, tu es parfait.”

Vous entendez ça suffisamment de fois et vous commencez à y croire. Ou, du moins, à croire qu’il le pense réellement.

Il y a quand même quelques problèmes. Le premier est qu’il ne m’a jamais vu en réalité. Vous feriez mieux de croire que j’ai trouvé tous les meilleurs angles pour paraitre plus vieux sur les photos. Alors, qu’est-ce qu’il allait dire quand il me verrait en personne?

Vous connaissez ce sentiment lorsque vous voulez tellement croire quelque chose que si vous ne l’obtenez pas, vous savez que cela vous tuera? Et si Edwin n’est pas vraiment intéressé par les mecs et que quand il me verra, moi, avec mon p’tit cul manifestement gay, il se moque de moi ou quelque chose comme ça? Je ne pourrais pas le supporter. Je fais peut-être tout ce qu’il faut pour jouer les petits durs, mais en réalité, je suis loin d’être comme ça.

Je suis maigrichon et bizarre et si je n’avais pas Dillon, je n’aurais aucun ami. Je ne suis pas exactement un modèle de confiance en soi. Alors, quand vous rencontrez quelqu’un comme Edwin et qu’il dit les choses qu’il a dites sur moi, vous voulez vraiment que ce soit vrai. Vous voulez qu’au moins une personne dans le monde pense que vous êtes parfait simplement comme vous êtes, mal foutu, maigrichon et faisant vraiment plus jeune. Et si Edwin est ce garçon, alors je ferai tout mon possible pour qu’il se passe quelque chose de sérieux entre nous.

Le second problème est un peu plus délicat. J’ai un peu raconté que je pouvais déjà me transformer. Il dit qu’il le fait depuis des années. Il m’a même envoyé une photo de son loup. Lorsqu’il m’a demandé une photo du mien, j’ai utilisé une photo sur Internet et lui ai dit qu’elle datait de vacances en famille à Yellowstone.

Je ne sais pas pourquoi j’ai menti. OK, et voilà un mensonge de plus. Je sais exactement pourquoi je l’ai fait. Ça avait l’air super important pour lui et je n’étais pas sûr de toujours l’intéresser si je ne pouvais pas lui en envoyer une.

Je n’avais pas d’autre choix que de mentir, non? Et maintenant que j’étais à quelques minutes de le rencontrer en personne pour la première fois, je me demandais à quel point je m’étais mis dans la merde. Il n’allait pas penser une minute de plus que j’étais parfait quand il allait me voir.

Je veux vraiment qu’il le pense. Soyons réalistes, ça m’anéantirait tellement si tout ça n’était qu’une grosse blague et qu’il ne se montrait même pas. Je ne sais pas si je pourrais le supporter. Rien que d’y penser, j’en ai les larmes aux yeux.

Oh mon Dieu, c’est une grosse blague, c’est ça? Et je suis tombé dans le panneau. J’étais le petit mec gay stupide tombé une fois de plus dans le panneau!

Plus je me rapprochais du lieu de rendez-vous, et plus mes jambes avaient du mal à me porter. J’étais en morceaux. La vérité devenait plus claire. Je n’étais qu’une pauvre idiote qui avait craqué sur le premier type qui m’avait dit quelque chose de gentil. J’étais le crédule, le pathétique, le loser que personne n’aimerait jamais et dont tout le monde allait se moquer pour l’éternité.

Je…

“Hil!” Ai-je entendu, ce qui m’a arraché à mes pensées.

Je n’ai pas reconnu la voix. Je me suis retourné pour voir d’où elle venait et je l’ai vu. C’était Edwin. Quand je l’ai vu, chaque cellule de mon corps s’est mise à vibre soudainement. Il était venu. Ce n’était pas une blague. C’était bien réel.

J’ai essayé de ne pas pleurer et je n’y suis pas parvenu, sans doute le stress. Je me sentais tellement soulagé. Il n’y avait qu’une seule autre chose que je voulais, dont j’avais besoin. C’était de l’entendre dire les mots qu’il utilisait à chaque fois que nous nous retrouvions ensemble en ligne.

“Tu es parfait”, a-t-il dit, comblant un vide inattendu en moi.

“Edwin?” Ai-je demandé en essuyant les larmes de mes yeux et en essayant d’agir normalement.

Il était exactement comme sur ses photos. Il était tout ce qu’il disait être. Mais j’ai été surpris de voir qu’il était accompagné de tout un groupe de mecs que je ne connaissais pas. J’ai trouvé qu’ils n’avaient pas l’air de mecs très sympas.

“Oui”, a-t-il dit avec un sourire. “Je suis content que tu sois venu.”

“Comment aurais-je pu faire autrement? Tu me l’as demandé”, ai-je dit en lui rappelant qu’il avait presque insisté pour que je vienne.

“Oui. C’était assez important.”

“Important?”

“Oui, parce que c’est peut-être la dernière chance qu’on a.”

Je l’ai regardé un peu perdu. Mes yeux se sont tournés vers la bande de sacs à merde qui se tenaient derrière lui.

“C’est qui tout ça?” Ai-je demandé avec une sensation de malaise.

“Oh. Ce sont mes amis. Nous avons besoin de toi pour nous aider à accomplir quelque chose.”

Je ressentais vraiment une vibration de sa part que je n’avais pas ressentie lorsque nous étions ensemble en ligne. Il avait une énergie nerveuse. Je n’ai pas eu l’impression que cela avait quoi que ce soit à voir avec moi. Je sentais le malaise grandir en moi.

“Je pensais qu’on avait comme une sorte de rencard.” Ai-je dit.

Ses amis se sont mis à rire. Qu’est-ce qu’il y avait de drôle? Il se passait quoi là?

“Ouais, certainement”, a dit Edwin en attirant à nouveau mon attention vers lui. “C’est juste que nous avons d’abord besoin de toi, de ton aide. Après, on pourrait aller manger une glace ou autre chose. Tu serais d’accord?”

Je n’aimais pas la tournure que prenaient les choses, et je ne savais pas trop pourquoi. Il était venu comme il l’avait dit. Il m’avait vu en personne et il pensait toujours que j’étais parfait. Il parlait même d’aller manger une glace ensemble.

C’était tout ce que je voulais, non? Tout ce que j’avais à faire était de les aider pour un truc avant d’y aller. Ce n’est pas trop bizarre, si?

“Pour quelle raison vous avez besoin d’aide, exactement?”

Edwin a regardé ses amis, il avait l’air tout excité. Il s’est recoiffé, redressé puis il a fixé ses yeux sur moi, il avait l’air comme possédé. Un frisson m’a parcouru l’échine.

“Il y a des gens à qui il faut absolument qu’on parle, mais ils ne viendront jamais si c’est un de nous qui leur demande, une personne en particulier”, a-t-il dit en faisant un geste vers ses quatre amis à l’air louche.

“Vous voulez leur parler de quoi?”

“Nous voulons juste discuter avec eux, surtout avec lui, ce mec, là. Rien de dingue. Ce sont aussi des métamorphes. Nous voulons juste parler de ça.”

“Tu veux dire que vous voulez leur demander de rejoindre votre meute?”

Edwin s’est retourné vers ses amis et a ri.

“Quelque chose comme ça”, dit-il en se retournant vers moi.

“Comment suis-je censé les convaincre de venir vous parler?”

“Je ne sais pas. Vous êtes tous des métamorphes. Peut-être que tu pourrais te transformer pour que tout le monde puisse voir qui tu es.”

“Et vous serez où?” Ai-je demandé en ayant un très mauvais pressentiment.

“Tu vois ces arbres là-bas?” a-t-il dit en désignant un fourré plus éloigné dans Central Park. “On vous attendra là-bas.”

“De quoi devez-vous parler à ce mec?” Ai-je demandé en ressentant quelque chose qui ressemblait de plus en plus à de la peur.

“Ne t’inquiète pas de ça. Tu le fais juste venir. Après, on ira manger une glace. Tu veux toujours aller manger une glace, non?”

“Oui”, j’en avais vraiment envie.

“Alors, occupe-toi de ça et on y va après”, a-t-il dit en me souriant.

Je me suis retourné vers la meute d’Edwin. Les seuls métamorphes que je connaissais étaient mon père et les hommes qui travaillaient pour lui. Ils étaient tous dangereux. Tous les loups étaient-ils comme ça? Était-ce le prix à payer pour entrer dans ce monde?

J’ai regardé Edwin à nouveau. Il n’était pas le mec le plus canon du monde, mais je ne l’étais pas non plus moi-même. La seule chose importante était que je lui plaisais. Il avait dit que nous étions comme des âmes sœurs. Je voulais que ce soit vrai. Et le seul moyen pour que ce soit le cas était que je fasse ce que mon alpha me demandait. Si je ne le faisais pas, j’allais sans aucun doute le perdre.

“Alors, c’est qui ce garçon que je dois convaincre?”

Edwin a affiché un sourire de dément. Il m’a désigné quelqu’un au loin et j’ai vu une personne assise seule sur un banc. Plutôt petit, le sweat à capuche noir qu’il portait le rendait à peine visible dans l’obscurité.

“Tu veux juste lui parler, c’est ça?”

“Ouais. C’est bien ça, juste parler”, a confirmé Edwin.

“Et après, on ira manger une glace?”

“Le parfum qui te fera plaisir”, a-t-il dit avec enthousiasme.

“OK”, ai-je dit, n’étant plus sûr de rien et encore moins de ce que je faisais.

Edwin et ses amis ont gloussé comme des hyènes. C’était déconcertant.

“Super. Nous serons là-bas à t’attendre. Je savais que tu étais parfait”, a-t-il dit de nouveau.

Je me suis dirigé vers le banc pendant qu’ils allaient vers les arbres. Je n’arrivais pas à croire que je faisais ça. Edwin avait pourtant dit qu’il était aussi un métamorphe, non? S’il allait lui demander de rejoindre leur meute, peut-être que tout le monde serait satisfait.

La personne ne s’est pas retournée quand je me suis approché. Il m’avait certainement entendu arriver, je n’étais pas vraiment silencieux. Mais ce n’est que lorsque je me suis assis qu’il s’est tourné vers moi.

En voyants ses yeux, mon cœur s’est arrêté. Je ne pouvais plus respirer. Je savais qui c’était. Edwin avait raison, c’était bien un métamorphe. Le métamorphe le plus célèbre du monde. Et le plus détesté.

J’ai avancé mon visage dès que nous avons établi un contact visuel. Qu’est-ce qui se passe? Je fais quoi là?

“Je ne mords pas”, a dit le garçon d’une voix douce.

“Je sais”, ai-je dit avec hésitation.

J’ai senti qu’il me fixait pendant une seconde avant de se lever et de s’éloigner.

“Je suis désolé, j’ai été impoli peut-être?” Ai-je dit pour le retenir.

“Non, ce n’est pas grave. J’ai l’habitude.”

“Je ne voulais pas être indiscret”, lui ai-je dit.

“Tu ne l’as pas été”, a-t-il dit en baissant les yeux mais sans partir.

“Alors, tu as souvent cette réaction?”

“Simplement tous les jours.”

“C’est parce que tu es un métamorphe?”

“Parce que je suis un métamorphe. Parce que les gens pensent que je mens sur le fait d’être métamorphe. Y’a le choix.”

“Je te crois. Je veux dire à propos de ce que tu es.”

“Tant mieux pour toi.”

“Je pourrais même connaître d’autres métamorphes.”

C’est alors qu’il a levé les yeux et s’est tourné vers moi. Il m’a regardé fixement, en restant silencieux. Pourquoi ne disait-il rien? Il ne me croyait pas? Est-ce que c’était une autre chose qu’il faisait souvent?

“Je suis un métamorphe”, lui ai-je dit. “Je veux dire, pas encore. Mais probablement.”

“C’est vrai”, a-t-il dit en paraissant douter de moi, il n’était sûr de rien.

“Je dis la vérité. Et on est nombreux”, ai-je dit, je me sentais mal, comme une sensation de malaise.

“De nombreux métamorphes?”

“Ouais! Je sais que tu penses être unique, mais ce n’est pas le cas.”

J’ai baissé la tête en ressentant le poids de ce que j’allais faire ensuite. Mon cœur me faisait mal. Je ne savais pas trop pourquoi.

“Aimerais-tu rencontrer certains d’entre eux?”

“Rencontrer d’autres métamorphes?” a-t-il demandé, plus méfiant.

“Oui. Ils ne sont pas comme moi. Ils peuvent se transformer. Au moins l’un d’entre eux le peut.”

“D’accord”, a-t-il dit en me fixant.

“Ils sont là-bas”, ai-je dit en désignant l’endroit où Edwin et ses amis attendaient.

Il s’est tourné vers les arbres.

“Ils sont là-bas?”

“Oui.”

“Pourquoi sont-ils dans les arbres?”

“Je ne sais pas. Sans doute un truc de métamorphe?”

“Je peux dire quand les gens mentent. Tu le savais? Tous les métamorphes le peuvent.”

Je me suis figé. De quoi parlait-il? Si c’était vrai, mon père ne m’aurait jamais laissé sortir ce soir. Ma vie entière aurait été différente. Et le fait qu’il pensait être “le seul de son espèce” n’était-il pas tout? J’ai décidé de jouer le jeu.

“Alors tu sais que je dis la vérité. J’ai des amis métamorphes et ils m’ont demandé de voir si tu voulais les rencontrer.”

C’était assez proche de la vérité au cas où il pouvait vraiment sentir si je mentais.

Il m’a regardé fixement. Je pensais que j’allais devoir trouver un autre plan quand il a dit:

“Ok.”

J’ai fait une pause, j’étais surpris. Je n’arrivais pas à y croire. Ça avait marché, alors que je n’y croyais plus.

“Alors viens avec moi”, ai-je dit en me levant.

“Ok.”

Sans un mot, j’ai commencé à marcher vers les arbres. Il m’a suivi.

Cette situation était vraiment dingue. Comment cela avait-il marché? Qui d’autre aurait pu convaincre un parfait inconnu de le suivre dans les bois la nuit? Edwin avait raison. J’étais parfait.

J’ai pensé à ça. “J’étais parfait”. C’est ce qu’il disait toujours. “Parfait”. Était-ce ce qu’il voulait dire? Étais-je parfait pour convaincre une inconnue de me suivre dans les bois?

Attendez! Était-ce son plan? Est-ce que je faisais partie d’un plan? Oui, j’en étais convaincu à présent.

Pourquoi voulait-il lui parler, déjà? Était-ce pour rejoindre sa meute? L’avait-il suggéré ou bien c’était moi qui l’avais pensé?

Le garçon qui me suivait était le métamorphe la plus détesté du monde. Sa révélation publique avait compliqué la vie de tous ses congénères, elle était devenue beaucoup plus compliquée. Les métamorphes voulaient sa mort, et pas seulement les loups. Même mon père en avait parlé.

La seule raison pour laquelle il était encore en vie était qu’il n’y avait pas de métamorphe assez stupide pour essayer de tuer une telle célébrité.

Oh merde!

“Tu dois partir d’ici!” Ai-je dit en me tournant vers lui.

“Quoi?” A-t-il demandé dans un sursaut.

“Tu dois t’enfuir. Ce n’est pas sûr pour toi ici. Casse-toi! Vite!”

Je n’ai pas eu besoin de le dire deux fois. Sans un mot, il s’est retourné et s’est mis à courir. Je l’ai regardé partir. Qu’est-ce que je venais de faire? Qu’est-ce que j’avais été sur le point de faire?

La terreur m’a traversé pendant que je réfléchissais à ce que je devais faire maintenant. Devais-je m’enfuir? N’était-ce pas la chose la plus intelligente à faire?

N’était-il pas possible qu’Edwin ne se soucie pas que je gâche leurs plans? N’y avait-il pas une chance qu’il m’apprécie vraiment? La possibilité semblait si mince que je devais être fou pour la risquer. Mais, n’y avait-il pas encore une chance?

Je n’étais pas assez désespéré pour faire la chose la plus stupide qui soit, n’est-ce pas? Il ne m’aimait pas. Il m’utilisait juste pour essayer de tuer quelqu’un. Je le savais. Alors pourquoi est-ce que je marchais maintenant vers les arbres?

C’était parce que j’avais besoin que quelqu’un me dise que je valais quelque chose. J’avais besoin que quelqu’un m’aime. Je voulais tellement qu’il m’aime.

“Espèce de fiotte!” A crié Edwin alors que j’avançais dans l’obscurité.

Il se tenait devant moi, torse nu, tandis que ses quatre amis l’encerclaient en sous-vêtements.

“Pourquoi t’as fait ça?” A-t-il crié avec fureur “Il était juste là. Juste là, putain!”

“Je suis désolé. Je pensais juste que je venais ici pour qu’on sorte ensemble.”

“Un rendez-vous avec toi, espèce de grosse tapette? T’avais un seul truc à faire. Un seul boulot.”

“Je suis désolé”, ai-je dit en fondant en larmes.

“Tu veux savoir ce que ça veut dire d’être désolé?” Edwin s’est tourné vers ses amis en leur faisant un signe de tête. “Je vais te montrer ce que c’est d’être vraiment désolé”, a-t-il dit alors que chacun se déshabillait et se transformait en loup. “On va pas pouvoir s’amuser avec l’autre. Mais toi, tu feras l’affaire”, a-t-il dit en déboutonnant son pantalon avec un air démoniaque. J’ai compris ce qui allait m’arriver.

Son sourire fut la dernière chose que je vis de son humanité. Alors que je le fixais, devant moi, il est tombé à terre et a grogné de douleur. Je pouvais entendre ses os craquer alors qu’il se transformait. Je n’avais jamais vu cela. C’était terrifiant. Et quand les yeux de loup d’Edwin se sont levés et ont plongé dans les miens, j’ai su que j’allais mourir.

Figé, j’ai vu ma vie défiler devant mes yeux. J’avais tellement été idiot. Pourquoi avais-je pensé que quelqu’un pouvait m’aimer? Personne ne pourrait jamais aimer quelqu’un comme moi. Personne.

Le loup d’Edwin a été le premier à s’élancer. Mon cœur s’est arrêté à ce moment-là. C’était la fin pour moi. Du moins, ça l’aurait été si un loup ne l’’avait pas percuté en plein vol, le faisant tomber dans les airs.

Le nouveau loup était puissant et grand. Il a enroulé sa mâchoire autour du loup d’Edwin et l’a secoué comme une poupée de chiffon. Il a fini par jeter Edwin sur le côté et s’en est pris à ses amis.

“Rémy!” Ai-je dit, abasourdi, quand j’ai réalisé que c’était mon frère qui venait d’apparaitre.

 

 

Chapitre 1

Hil

 

“Je crois que j’ai provoqué la mort de quelqu’un”, ai-je dit, le visage empourpré de sang

“Hil, c’est toi?” L’inquiétude de Dillon au sujet de mon bien-être était une des choses qui faisaient que je l’aimais autant.

“Oui c’est moi. Mon Dieu, mais qu’est-ce que j’ai fait?”

“C’est pas vrai, tu t’es transformé?”

“Non, non.” Lui ai-je dit en ressentant toute la frustration d’un loup de 20 ans toujours incapable de se transformer.

“Où étais-tu? Je me suis fait un sang d’encre? Tu es où là ?”

“Je suis dans un hôpital”, ai-je dit, en regardant autour de moi les autres personnes qui patientaient dans la salle d’attente avec un air sombre.

“Attends, qu’est-ce-que tu fous à l’hôpital? Est-ce que tu vas bien?”

“Oui, oui, moi ça va. J’ai prêté ma voiture à quelqu’un, et cette personne a eu un accident. J’ai reçu une alerte sur mon téléphone disant qu’elle avait été emboutie par une autre voiture et qu’une ambulance avait été appelée. Dillon, je crois que quelqu’un a cru que je conduisais et a voulu me précipiter du haut d’une falaise.”

“Hil, tu dois me dire où tu es.”

“Je ne sais pas où je suis. C’est une petite ville du Tennessee. Je vais bien, je t’assure. J’avais juste besoin d’entendre ta voix. Mais je t’en prie, tu ne dois dire à personne que je t’ai appelé.”

“Rémy m’a demandé des nouvelles de toi. Il a dit que ton père était inquiet.”

“Tu ne peux absolument pas lui dire. Promets-moi de ne pas le faire.”

“Hil…”

“Promets-moi!”

“D’accord. Je te le promets. Mais tu ne peux pas disparaître comme ça à nouveau.”

“Ça n’arrivera pas. Mais je dois leur prouver que je peux m’en sortir tout seul.”

“Tu ne viens pas de dire que quelqu’un avait essayé de te faire sortir de la route?”

“Je vais m’en sortir, Dillon. Je vais y arriver.”

“On m’a dit que ma mère venait d’être déposée”, dit quelqu’un avec le plus bel accent du sud, me tirant de ma conversation avec Dillon.

J’ai levé les yeux et j’ai vu un homme assis à la réception, à quelques mètres de moi. Il avait des cheveux noirs, des épaules larges et une carrure d’athlète. Mais, plus important, j’ai reconnu son odeur. Je ne savais pas comment, mais je le savais. C’était un métamorphe.

J’étais issu d’une longue lignée de loups métamorphes, du moins du côté de mon père. Ma mère est humaine. Je suppose que je le suis aussi.

Enfin, c’est tout ce que j’ai été pendant très longtemps. Mais quelque chose s’est produit depuis que je suis arrivé dans cette ville. Ce sont de petites choses, comme le fait de me sentir parfois plus fort que ce que devrait ressentir un mec aussi gringalet que moi. Je ne peux pas l’expliquer. Et comme il y avait tant de choses que je ne comprenais pas dans ma vie, je l’avais simplement ajouté à la liste.

Une autre de ces choses, c’était ce que je ressentais en regardant le type bien bâti qui se trouvait en face de moi. Je ne le voyais que de dos, mais j’étais incontestablement attiré par lui. Aussi, lorsque le type qui m’avait conduite à l’hôpital s’est précipité vers lui, je me suis levé et je les ai rejoints.

“Je dois y aller,” ai-je dit à Dillon

“Ne disparais pas à nouveau. Je veux savoir où tu es.”

“Je te rappelle bientôt. Je te le promets, Dillon.”

J’ai mis fin à l’appel et j’ai rejoint les deux gars à la réception. Marcus, celui qui m’avait conduit ici, s’est tourné vers moi au même moment. “Hil, voici Cali. C’est le fils du Docteur Sonya.”

Ce gars super grand et ultra baraqué m’a regardé. J’ai senti mes genoux vaciller. Il y avait quelque chose dans son parfum et la façon dont ses yeux scrutaient les miens qui me faisait me sentir faible.

“Pourquoi ma mère conduisait-elle ta voiture?” m’a demandé le beau gosse.

J’ai reculé, sachant de quoi il était capable s’il se transformait en loup. Mais je me suis calmé quand j’ai imaginé ce qu’il pouvait ressentir.

Il ne s’agissait pas d’un des épisodes hormonaux de mon frère dont j’avais eu si peur étant adolescent. Il était logique qu’il soit contrarié. Je le serais aussi dans sa situation. Mais ne pouvait-il pas voir que j’étais également inquiet?

“Elle admirait ma voiture depuis que je suis arrivé au bed-and-breakfast. Elle m’en a parlé plusieurs fois, alors comme je devais partir aujourd’hui, je lui ai demandé si elle voulait que je l’emmène faire un tour. Je n’aurais pas dû? Elle n’est pas bonne conductrice?”

En me fixant, Cali a cédé.

“Non, c’est bon. Elle est aussi bonne conductrice que n’importe qui. Tu ne pouvais pas savoir ce qui allait se passer. Je suis désolé, quel est ton nom déjà?”

“C’est Hilaire, mais tout le monde m’appelle Hil”, ai-je dit en lui tendant la main.

Prenant ma petite main dans la sienne, il l’a tenue plus longtemps que je ne l’avais prévu. La façon dont il me regardait m’a fait me sentir vulnérable. C’était comme s’il pouvait voir en moi. J’avais l’impression de n’avoir aucun secret pour lui quand il me regardait comme ça.

“Heureux de te rencontrer, Hil. Je te dois des excuses pour ce qui est arrivé à ta voiture.”

“Ne te prend pas la tête. C’est à ça que sert l’assurance. J’espère juste que ta mère va s’en sortir.”

Cali a lâché ma main et s’est détourné, brisant le lien qui avait semblé s’installer entre nous. Cela m’a fait mal de le sentir s’éloigner. L’inconvénient de grandir dans une famille comme la mienne est que je n’ai pas eu la chance de rencontrer des gars comme Cali. Avec un père aussi protecteur que le mien, je n’ai jamais eu le droit d’aller à l’école. Je n’ai jamais eu que des tuteurs. Je n’ai jamais vraiment eu de vie.

Quand mon père a compris que j’aimais les garçons, il n’en a pas fait tout un plat. Mais les garçons sont devenus une autre chose dont il devait me protéger. J’étais comme sa petite princesse. Mais pas de la manière qui me faisait penser que j’allais rencontrer mon Prince, plutôt celle qui me disait qu’on ne pouvait pas me faire confiance au sujet de quoi que ce soit. C’était une partie de la raison pour laquelle j’avais décidé de partir dans cette sorte de cavale solitaire, pour prouver que je pouvais survivre par moi-même.

Si je devais être honnête, une autre raison était que les gars qui ressemblaient à Cali étaient très rares. À vingt ans, j’étais toujours puceau. Et cela ne risquait pas de changer en vivant sous la protection de mon père. Il fallait que je m’échappe. Mais à présent, j’étais dans un hôpital au fin fond du Tennessee, sans savoir quoi faire, où aller, ni comment y aller.

“Merci d’être venu, Marcus. Mais tu n’es pas obligé de rester. Je suis sûr que tu as beaucoup de choses à faire. Je ne veux pas t’en empêcher”, a dit Cali, sans le regarder.

“Non, je peux rester aussi longtemps que tu as besoin de moi. C’est ta mère, mais je me soucie aussi d’elle.”

“Merci. Mais Claude et Titus seront bientôt là. Tu n’as pas besoin de rester”, a répondu dédaigneusement le garçon bien bâti.

“Non, sérieusement, je peux rester aussi longtemps que tu as besoin de moi.”

Cali s’est retourné pour lui faire face avec un vrai regard de loup.

“Marcus, vas-y. Je te ferai savoir comment elle s’en sort. Je suis sûr que Hil aura aussi besoin qu’on le ramène.”

J’ai sursauté en entendant mon nom prononcé sur le même ton dédaigneux. Ne voulait-il pas de nous ici? Était-il le genre de loup qui pouvait devenir dangereux dans ce genre de situation?

J’ai posé ma main sur l’épaule de Marcus.

“Nous devrions y aller. Je suis sûr que Cali nous tiendra au courant lorsqu’il en saura plus.”

Cali s’est tourné vers moi, son visage semblait soulagé. Je ne savais pas trop pourquoi. Y avait-il quelque chose qui se passait entre les deux? Avaient-ils eu une histoire ensemble?

Sachant que Cali était un loup, je me suis tourné vers Marcus pour mieux le voir. Je ne ressentais pas la même chose en le regardant qu’en regardant Cali. Était-ce parce qu’il était humain ?

Physiquement parlant, il n’était certainement pas mon type comme Cali pouvait l’être. Il avait l’air en forme et malgré tout, il était très séduisant. Il avait aussi les mêmes fossettes que Cali.

Mais en regardant celui-ci, quelque chose me faisait mal dans la poitrine. Quelque chose s’est mis à brûler à l’intérieur de moi et à se battre pour sortir. Je pouvais à peine respirer en regardant ses yeux. Comparé à lui, Marcus n’était qu’une ombre.

 

“Je peux te ramener chez le Dr Sonya”, a dit Marcus, trop triste pour croiser mon regard.

“Merci”, ai-je dit comme si je n’avais pas envie de rester autant que lui.

“Je suis encore une fois désolé de ce qui est arrivé à ta mère”, ai-je dit, captant l’attention de Cali mais pas son regard.

 

Il m’a à peine accordé son attention. En le fixant, j’avais désespérément envie de l’entourer de mes bras et de lui dire que sa mère allait s’en sortir. Mais il y avait une armure épineuse qui l’entourait et que je ne pouvais pas pénétrer.

Agissait-il ainsi parce qu’il voyait qu’il m’attirait? Je ne connaissais pas grand-chose aux garçons, et

encore moins aux métamorphes, mais je savais que des types aussi sexy que lui ne s’intéressaient jamais aux hommes, et encore moins aux minables comme moi. Le fait que je sois humain ne pouvait que rendre les choses encore plus difficiles.

Peut-être avait-il compris que j’étais gay et que cela ne lui plaisait pas. Dans le monde dans lequel j’avais grandi, cacher sa faiblesse était la première étape pour survivre. Mon attirance pour les garçons était ma faiblesse. Du moins, c’est ce que pensait mon père. C’est pourquoi j’avais toujours fait de mon mieux pour la cacher.

Malheureusement, quand j’ai rencontré des gars plus chauds que le péché, le fait de cacher ce que je ressentais me faisait passer pour un éléphant qui se cachait derrière un lampadaire. Cali était aussi sexy que ça. Et peut-être qu’il n’aimait pas les éléphants.

En partant comme Cali l’avait demandé, Marcus et moi sommes restés silencieux pendant que nous retournions au bed-and-breakfast. Pendant tout le trajet, il semblait aussi confus que moi par notre interaction avec Cali. En y repensant, je me suis demandé s’il m’avait vraiment rejeté. J’avais tendance à manquer de confiance en moi.

Cali n’avait pas l’air d’être un mauvais garçon. Pourrait-il simplement ne pas être très bavard ? Préférait-il demeurer silencieux ?

En parlant d’histoires, Marcus et lui en avaient-ils une? Y avait-il une raison pour laquelle les choses semblaient tendues entre les deux? Est-ce qu’il y avait eu un truc entre eux, un truc sexuel peut-être?

“Je dois m’excuser pour la façon dont Cali a réagi. D’habitude, il n’est pas si…” Marcus a fait une pause.

“Prompt à se comporter en loup solitaire?” Ai-je demandé, histoire de voir ce qu’il savait.

Marcus a ri. “Non, ça c’est est assez habituel chez Cali. Mais il est généralement un peu plus gentil, cependant. Ne le prend pas de manière personnelle.”

“Et toi?” Ai-je dit en me demandant s’il était réellement un loup isolé ou s’il faisait partie d’une meute comme tous les autres métamorphes, ou disons comme la majorité d’entre eux.

“Quoi, moi?”

“Est-ce que tu le prends personnellement?”

La bouche de Marcus s’est ouverte, mais il n’a pas parlé. Il a fallu un moment pour qu’il me réponde,

“Parfois. Lui et moi sommes allés dans le même lycée. Cali était dans l’équipe de football et les filles se jetaient sur lui. Nous ne traînions pas exactement dans les mêmes cercles.

“Nos mères sont amies, alors nous étions souvent obligés de passer du temps ensemble. J’ai toujours eu l’impression d’être un tel dérangement pour lui. Je suppose que rien n’a changé.”

“Alors, Cali a eu beaucoup de petites amies?” Ai-je demandé, incapable de cacher mon intention.

Marcus m’a regardé en rejoignant la longue file de personnes qui pouvaient voir clair en moi. Il a gloussé.

“C’est assez drôle, bien qu’il y ait eu une liste interminable de filles à lui courir après, je ne l’ai jamais vraiment vu avec aucune d’entre elles. Il est plus du genre à broyer du noir en solitaire.”

“Un loup solitaire”, ai-je suggéré à nouveau.

Cette fois, il m’a regardé avec une pointe de suspicion. “Je suppose.”

Sachant à quel point les loups pouvaient être susceptibles, surtout en présence d’humains, j’ai changé de sujet.

“Il a parlé de deux gars qui se sont joints à lui. J’imagine qu’aucun des deux n’est son petit ami?” ai-je demandé avec hésitation.

 

Marcus a de nouveau ri.

“Non, Claude et Titus sont ses frères perdus depuis longtemps.”

“Des frères perdus depuis longtemps?”

“Oui. L’automne dernier, le petit ami de Titus a fait passer un test ADN et il s’est avéré qu’ils ont tous les trois le même père.”

J’y ai réfléchi. J’avais rencontré la mère de Cali. Elle semblait très humaine. Cela signifiait-il que le père de Cali était un loup? Était-il un demi-loup comme moi? Avait-il deux frères demi-loups? Parmi tous les endroits où j’aurais pu me retrouver, étais-je tombé sur la seule meute de demi-loups?

“Oh, wow!”

“C’est exactement ce que le reste de la ville a pensé,” a-t-il dit en se méprenant sur ma surprise. ” Ça a été un vrai scandale. Les gens n’arrêtaient pas de parler dans le dos de la mère de Cali. ‘Est-ce qu’ils ont tous les trois le même père? Comment se fait-il qu’ils soient si proches en âge? Qui était cet homme?’

“Aucune des mères ne l’a révélé. On dit qu’elles ne le diraient même pas à leurs fils. Cali et le Dr Sonya étaient assez proches jusque-là. Maintenant, Cali passe la plupart de son temps à l’université.”

“Attends, Cali va à l’université?”

“Oui. Il fait partie de l’équipe de football. Il joue avec Titus. La saison dernière, Titus a établi le record de mètres courus à son poste, et Cali a établi le record de mètres gagnés au pied.”

“C’est une famille de sportifs.” Ai-je dit, je me sentais de plus en plus perdu par toutes ces nouvelles informations.

“Apparemment,” dit Marcus avec une douleur dans les yeux.

“J’en déduis que tu ne vas pas à l’université?” Lui ai-je demandé, en supposant qu’il avait à peu près mon âge.

“Je n’ai pas eu la chance d’avoir la capacité naturelle qu’ont tant de personnes dans cette ville. Si c’était dans l’eau, je n’en ai certainement pas bu assez”, a-t-il en esquissant un sourire.

J’ai détourné le regard et j’ai réfléchi à tout ce que Marcus venait de me dire. Est-ce que je m’étais trompé? Cali n’était-il pas un métamorphe?

Sa vie semblait si normale. Il allait à l’université et jouait dans l’équipe de football. Ce n’était pas le genre de choses que faisaient les métamorphes. Ils restaient entre eux et se battaient pour défendre leur territoire.

Du moins, c’est ce que je croyais. Je n’étais pas un loup, mais j’avais grandi avec eux. Était-ce encore un autre exemple déformé par mon existence protégée? Ou bien Cali n’était-il pas vraiment un loup?

Si ce n’était pas le cas, cela expliquerait pourquoi Marcus n’avait pas réagi lorsque j’avais utilisé l’expression ” loup solitaire “. Je ne savais pas comment je m’attendais à ce qu’il réagisse, mais certainement à plus que ce que j’avais obtenu. Soit il s’agissait d’une petite ville normale avec des gens normaux, soit je n’avais aucune idée de ce que signifiait être un loup. Je devais comprendre de quoi tout ça retournait.

“Non, mais j’ai goûté tes pâtisseries. Tu n’as pas besoin de jouer au football quand tu peux faire des choses aussi bonnes. Je connais des gens qui tueraient pour un de tes croissants au chocolat”, lui ai-je dit en le pensant vraiment.

Marcus a rougi. C’était assez pour que je me demande qu’il s’intéressait à moi. Il n’a fallu qu’un instant pour l’imaginer nu avant de réaliser que je le voyais plus comme un ami que comme quelqu’un avec qui j’aurais envie de me mettre au lit. Mais Cali, rien que de penser à lui, j’avais l’impression que quelqu’un me serrait le cœur. Était-ce cela qui signifiait souffrir pour quelqu’un?

” Ça me fait plaisir que tu dises ça “, a dit Marcus, me tirant de mon fantasme de plus en plus réaliste sur Cali. “Faire des pâtisseries est ma façon de me détendre.”

“J’échangerais un bras pour être aussi doué dans n’importe quel domaine que tu l’es dans la pâtisserie. Je ne saurais même pas faire cuire un œuf.”

Marcus a ri. Il a dû penser que je plaisantais. Ce n’était pas le cas. En grandissant, nous avions toujours eu des gouvernantes et des chefs. Brièvement, nous avons même eu un goûteur. C’est un peu difficile d’apprendre à survivre par ses propres moyens quand, non seulement vous ne pouvez pas mettre un pied dehors sans une équipe de sécu, mais aussi qu’il y a une quantité infinie de personnes qui sont payées pour faire les choses à votre place.

Pour varier un peu de sujet de conversation pour le reste de notre trajet, je lui ai demandé comment c’était de grandir ici. Même si on enlève mes histoires de loups métamorphes, c’était quand même très différent de la façon dont j’avais grandi à New York. Je lui ai demandé s’il avait déjà attrapé des lucioles dans un bocal en verre. Il a ri et m’a répondu que oui. C’est pas un truc d’habitants de petit patelin, ça?

“La prochaine chose que tu vas me dire, c’est que toi et tes amis alliez pêcher dans les ruisseaux.”

Il m’a regardé d’un air embarrassé.

“Non, sérieusement?”

“Tu ne comprends pas le peu de choses qu’il y a à faire ici. Mais as-tu déjà essayé? En fait, c’est assez amusant.”

“Je suppose. C’est forcément mieux que de prétendre maladroitement que tu n’as pas le béguin pour n’importe quel garçon à moitié décent, avec lequel tes parents t’ont organisé un rendez-vous.”

Marcus m’a regardé en réalisant ce que je venais de dire.

“Alors, tu aimes les garçons?”

“Si par “aimer”, tu veux dire désirer désespérément en avoir un en moi, alors oui”, ai-je admis avec un sourire.

“C’est cool”, a-t-il dit, étonnamment il avait l’air de vraiment le penser .

“Il est clair que tu n’as jamais été attiré par les garçons”, ai-je ri.

Marcus a détourné le regard sans répondre. Il y avait quelque chose qu’il ne disait pas. Peut-être que si j’avais eu l’occasion d’affiner mon radar à gay, j’aurais compris ce que c’était. Le seul autre gars que je connaissais qui aimait les garçons était Dillon, et il avait autant de mal à le cacher que moi.

Lorsque nous sommes revenus au bed-and-breakfast, Marcus m’a demandé si j’allais avoir besoin de quelque chose maintenant que je n’avais plus de voiture. Je lui ai répondu que ça irait. Il m’a ensuite donné son numéro et m’a dit d’appeler si j’avais besoin de quoi que ce soit. Je lui en ai été reconnaissant.

Outre le fait que j’étais ou non tombé sur une meute de demi-loups dirigée par le mec le plus sexy que j’avais jamais vu, j’avais fait ce voyage pour prouver que je pouvais être indépendant et autonome. Cependant, la vérité était que je n’étais pas plus proche de ce résultat qu’au moment de mon départ. Qu’allais-je faire maintenant que je n’avais même plus de voiture? Plus grave encore, qu’est-ce que j’allais pouvoir faire sans un rond en poche?

 

Si vous voulez faire le même genre de voyage que moi, vous ne pouvez pas compter sur la carte de crédit de papa. Les achats par carte peuvent être suivis à la trace. Si je l’utilisais, mon père saurait exactement où je me trouvais.

Sinon, vous pouvez prendre la voiture familiale qui n’est pas équipée d’un dispositif de suivi, empocher quelques liasses de billets que votre père garde cachées dans la maison, éteindre votre téléphone et partir où bon vous semble.

C’est l’option que j’avais choisie. Mais j’ai aussi gardé l’argent dans ma voiture en pensant que c’est là qu’il serait le plus en sécurité. Aurais-je dû y penser avant de permettre au Dr Sonya de partir faire un tour avec? Clairement. Mais comment aurais-je pu deviner que ma voiture et tout mon argent allaient se retrouver au fond d’un ravin, au pied d’un col de montagne?

Qu’est-ce que j’étais censé faire maintenant? Je n’avais pas de voiture, je n’avais pas d’argent et si je ne me trompais pas, le Dr Sonya avait prévu que quelqu’un d’autre prenne ma chambre ce soir.

Ce n’est pas comme si je n’avais pas d’options. Au pire, je pouvais toujours utiliser ma carte de crédit ou appeler chez moi. Mais je n’avais pas envie de faire ça. Pour une fois dans ma vie, je voulais montrer à mon père que je n’étais pas complètement immature. Je pouvais prendre soin de moi. Mais plus le temps passait sur ma petite aventure, plus je commençais à penser que ce n’était pas vraiment le cas.

En entrant dans le bed-and-breakfast, les visages de quatre personnes se sont immédiatement tournés vers moi. Ils ressemblaient à deux couples habillés pour des vacances un peu aventureuses. Ils portaient des chaussures de randonnée et avaient posé de grands sacs à dos sur le sol à côté du canapé, j’ai pensé qu’il s’agissait des visiteurs dont le Dr Sonya avait dit qu’ils me remplaceraient. Je n’étais pas sûr de savoir quoi leur dire, alors au lieu de dire quoi que ce soit, je me suis empressé de les contourner pour aller dans ma chambre.

Derrière ma porte verrouillée, je me suis effondré sur le lit et j’ai fixé le plafond. Je me sentais tellement perdu. Je devais faire quelque chose, n’est-ce pas? Je ne pouvais pas rester allongé ici en espérant que tout allait s’arranger comme par magie. Les personnes autonomes ne passaient-elles pas à l’action? Elles anticipaient ce qui allait se passer et s’y préparaient.

Paralysé, je suis resté allongé pendant plus d’une heure à réfléchir à ce que je devais faire. Je savais que Dillon m’aiderait s’il le pouvait, mais ce n’était pas la manière dont notre relation fonctionnait. C’est moi qui l’avais adopté. Dillon était le fils de ma gouvernante préférée.

Il y avait un nombre limité de personnes qui savaient que mon père et mon frère étaient des loups métamorphes. Notre gouvernante était l’une d’entre elles. Pensant que j’avais besoin d’un ami, mes parents avaient organisé une sortie avec son fils. Lorsque j’ai rencontré Dillon, j’avais eu l’impression de me regarder dans un miroir, il était mon double parfait et j’ai décidé qu’il aurait la vie que j’aurais voulu avoir.

Lorsqu’il a obtenu son diplôme d’études secondaires, j’ai convaincu mon père de lancer un programme de bourses d’études et je me suis assuré qu’il en obtienne une. J’ai aussi veillé à ce que sa chambre d’étudiant à l’université soit meublée avec tout ce dont il pourrait avoir besoin. La bourse comprenait de l’argent de poche pour qu’il n’ait pas à chercher un emploi, et il a reçu une allocation pour les vêtements et le reste afin qu’il puisse rencontrer un gars génial et avoir une vie heureuse.

Je n’avais pas fait ça parce que j’attendais quelque chose de lui. C’est mon ami. Je veux juste qu’il soit heureux. Je suis sûr qu’il m’aiderait lui aussi s’il le pouvait. Mais il était dans le New Jersey, et je connaissais le montant exact de son compte en banque. Demander de l’aide à Dillon n’était pas une option.

En entendant frapper à la porte, je suis sortie de ma spirale dépressive. Me ressaisissant rapidement, je me suis assis. La nuit était tombée depuis que je m’étais couché. En me levant, j’ai allumé une lampe.

“Oui?” Ai-je dit, soudainement face à Cali.

“Je me demandais si tu allais bientôt partir?” a-t-il dit avec l’air de celui qui semble porter la misère du monde sur ses épaules.

Je ne voulais pas l’accabler avec mes problèmes insignifiants. Il avait suffisamment à gérer par ma faute.

“Oui, bien sûr. Je suppose que j’ai juste un peu perdu la notion du temps.”

“C’est seulement qu’il y a quelqu’un de prévu pour cette chambre, et je dois encore la nettoyer…”

“Je comprends.”

“Si tu as besoin de plus de temps…”

“Non, non pas du tout. Je serai dehors dans quelques minutes.”

Au lieu de répondre, son regard a roulé sur moi, provoquant un sentiment de chaleur qui s’est installé au plus profond de mon être. Les lèvres serrées, il m’a fait un signe de tête et est retourné en bas.

Eh bien, c’était le moment. J’allais devoir prendre une décision. Jetant les quelques affaires que j’avais dans mon sac, je me suis regardé une dernière fois dans le miroir et j’ai quitté la pièce.

“Je m’en vais”, ai-je dit à Cali lorsque je l’ai trouvé dans la cuisine.

“Ok, merci”, a-t-il dit en se précipitant dans la chambre derrière moi.

N’ayant nulle part où aller, j’ai rejoint les invités dans le salon. C’était un endroit confortable. Les meubles avaient des représentations d’oiseaux sur le rembourrage. Il y avait un plaid orné sous la table basse en face et des étagères entouraient l’espace avec des livres et des bibelots du monde entier.

Je me suis demandé ce que voulait dire grandir dans un tel endroit. Cela ressemblait à un foyer rempli d’amour. Je savais ce que c’était. Mon père était intensément dévoué à sa famille. Ma mère, mon frère et moi étions tout pour lui. C’est le reste du monde qui avait une raison de le craindre.

Il n’a fallu que vingt minutes à Cali pour revenir et escorter les nouveaux clients dans leurs chambres. Il m’a regardé et nos yeux se sont croisés pendant un instant. Mais c’était tout. Il était occupé. J’ai compris. Comment pouvait-il savoir ce que je vivais? De plus, il avait lui aussi de vrais problèmes en tête.

Trente minutes plus tard, quand il est revenu dans le salon et a constaté que je n’avais pas bougé, je me suis senti gêné. Je ne pouvais pas le regarder.

“Tout va bien?” m’a-t-il demandé.

En le fixant, des larmes ont perlé dans mes yeux. J’étais ridicule. Je le savais. J’avais des options. Je n’avais pas à me plaindre. Mais j’étais là à pleurer alors qu’une personne qui pourrait être en train de perdre sa mère restait forte.

“Je suis désolé. Je vais te laisser tranquille maintenant”, ai-je dit en me levant, en prenant mon sac et en me précipitant vers la porte.

“Attends. Arrête!” a-t-il ordonné. Je ne pouvais pas le regarder en face même si je l’avais voulu. Qu’est-ce qu’il était en train de m’arriver?

“Tu n’as pas de voiture. Tu vas aller où?” A-t-il dit sans se douter de l’effet que ses mots pouvaient avoir sur moi.

“Je peux appeler pour qu’on m’emmène”.

“Si tu pouvais faire ça, tu l’aurais déjà fait. Tu as un endroit où aller?”

“Vraiment, tu n’as pas à t’inquiéter pour moi. Comment va ta mère?”

Comme il ne répondait pas, je me suis retourné pour lui faire face. Une douleur intense semblait le traverser.

“Le médecin dit qu’elle finira par s’en sortir. Mais je ne pouvais pas supporter de la voir comme ça. Elle a toujours été tellement pleine de vie, tu sais. La voir allongée là avec des tubes fixés partout sur elle, je ne pouvais pas le supporter.”

Sans réfléchir, je me suis précipité vers lui et j’ai saisi son épaule. Si j’avais réfléchi quelques instants, je ne l’aurais peut-être pas fait. Comme il ne s’est pas retiré, j’ai été heureux de mon geste.

“Le médecin dit qu’elle va s’en sortir?”

Il me l’a confirmé d’un signe de tête.

“C’est vraiment bien. Je ne peux pas te dire à quel point je suis heureux d’entendre ça.”

Comme s’il regrettait de m’avoir montré son vrai visage, il s’est rapidement redressé et s’est éloigné.

“Merci. Et je suis vraiment désolé de ce qui est arrivé à ta voiture. Ma mère a une assurance. Elle s’en occupera.”

“Sérieusement, ne t’inquiète pas pour ça. Occupe-toi de ta mère et de tout le reste, je suis sûr que tu as des soucis plus importants.”

“Je vais m’en sortir. Mais tu n’as pas répondu à ma question. As-tu un endroit où aller?”

Je me suis demandé ce que je devais lui dire. J’avais déjà dit que tout allait bien se passer. Il n’avait pas accepté cette réponse. Décidant que je devais lui dire la vérité, j’ai secoué la tête, non.

“Alors, tu vas rester ici”, a-t-il dit gentiment.

“Mais la chambre n’est plus disponible.”

“Tu vas prendre ma chambre”, a-t-il dit avec confiance.

Ma bouche s’est ouverte et je l’ai regardé fixement en me demandant ce qu’il suggérait. Il a rapidement clarifié les choses.

“Moi, je vais prendre la chambre de ma mère. Ma chambre n’a rien d’une suite de palace mais…”

“Merci. Je suis sûr que ce sera parfait”, ai-je dit alors que le soulagement m’envahissait.

“Tu devras me laisser quelques minutes pour tout remettre en ordre et peut-être changer les draps”, a-t-il dit, ses joues blondes devenant rouges.

“Ne te donne pas de mal pour moi”. L’ai-je imploré.

“Non, donne-moi juste une minute. Je reviens tout de suite”, a-t-il dit en se dépêchant de monter les escaliers.

J’ai regardé son cul pendant qu’il partait. Bon sang!

 

 

Chapitre 2

Cali

 

En le conduisant dans le couloir jusqu’à ma chambre, j’ai imaginé le type qui me suivait. Ses cheveux ébouriffés et bouclés tombaient à mi-chemin sur son front. Ses grands yeux et ses lèvres roses et pleines me faisaient penser à celles d’un poupon. Il était le mec le plus sexy que j’avais jamais rencontré. Et mon loup avait envie de lui, ça ne faisait aucun doute

Mais ce n’était pas le moment de penser à cela. J’avais d’autres chats à fouetter. Ma mère était à l’hôpital. C’était difficile de ne pas me reprocher qu’elle se retrouve dans cette situation.

Depuis que j’avais appris que Titus, Claude et moi étions frères, les choses étaient tendues entre ma mère et moi. Quand je l’avais confrontée à ce sujet, elle avait serré les lèvres et s’était éloignée. Elle savait. Depuis ma naissance, elle savait que j’avais des frères et ne me l’avait pas dit. Pourquoi ? Comment avait-elle pu me faire ça?

“Et voilà”, ai-je dit, en me retournant vers le gars plus petit et mince derrière moi.

“Tu es sûr que ça ne pose pas de problème?” a-t-il demandé, ses yeux révélant tout sa vulnérabilité.

“Absolument aucun”, ai-je dit en luttant contre la pensée de toutes les choses que mon loup avait envie de lui faire.

Le beau gosse a continué à me regarder comme s’il y avait quelque chose qu’il voulait dire. Je n’arrivais pas à imaginer ce que cela pouvait être. En le fixant, j’ai ressenti une douleur dans la poitrine. Envahi par l’envie de lui arracher ses vêtements et de le baiser jusqu’à ce qu’il se mette à hurler, j’ai détourné le regard pour tenter de me ressaisir.

“Penses-tu que ta mère va bientôt rentrer?” a-t-il demandé, attirant de nouveau mon attention.

“Ne t’inquiète pas. Tu peux garder cette chambre aussi longtemps que tu en as besoin.”

Hil a eu l’air embarrassé.

“Ce n’est pas pour ça que je demandais.”

En le fixant à nouveau, j’ai clairement compris qu’il disait la vérité.

“Non, mais c’est vrai. Je suis sûr qu’il faudra attendre au moins quelques jours. Le médecin m’a dit qu’elle avait l’air bien plus mal en point qu’elle ne l’était réellement. Heureusement, ce sont surtout des éraflures et des contusions. Elle a échappé à une grande partie des dommages internes qui auraient pu rendre les choses délicates. Mais elle n’est pas complètement sortie d’affaire. J’y retournerai dans la matinée pour vérifier qu’elle va bien,” ai-je dit, à nouveau envahi par le regret.

“S’il te plaît, souhaite-lui un bon rétablissement de ma part.”

Je l’ai fixé du regard. La douleur dans ses yeux me disait qu’il pensait vraiment que ce qui était arrivé à ma mère était de sa faute. Je ne pouvais pas comprendre pourquoi. Ce n’était pas lui qui l’avait percutée ou qui avait fui le lieu de l’accident. C’est lui qui a appelé l’ambulance qui l’avait secourue.

J’ai serré les lèvres et hoché la tête avant de me diriger vers la chambre de ma mère, laissant Hil derrière moi. Je ne me suis pas retourné en ouvrant la porte au bout du couloir. J’en avais désespérément envie, mais je n’étais pas sûr que mon loup me laisse partir si je le faisais. De plus, je ne voulais pas trop m’attacher. Il pouvait être parti le temps que je me réveille, et j’en avais marre d’avoir le cœur brisé.

La confiance était un problème pour moi, et le fait que la personne en qui je pensais avoir le plus confiance m’ait fait vivre dans le mensonge n’aidait pas. Je n’allais donc pas me laisser aller à ressentir quelque chose pour Hil, même si mon loup était attiré par lui. Je devais me protéger de lui. Ou, du moins, protéger ma partie humaine.

Mais une fois la porte fermée derrière moi, je l’ai imaginé à nouveau. Le loup en moi s’est déchaîné. Ma bite est immédiatement devenue dure, très dure. J’ai dû la prendre en main pour en atténuer la douleur.

Ce n’était pas la première fois que j’éprouvais des sentiments pour quelqu’un, mais les autres fois, mon loup n’avait pas réagi comme ça. Je ne savais pas ce qui se passait. C’était comme si mon loup le reconnaissait et le voulait pour compagnon. Était-ce ce que les loups métamorphes ressentaient lorsqu’ils trouvaient l’élu de leur cœur ?

Je n’ai jamais su si les choses que les gens disaient sur les loups métamorphes étaient vraies. Nous étions nombreux dans cette ville, mais ce n’est que récemment que nous avions pu former une meute. C’était à cause d’une barrière magique qu’une créature vivant ici avait placée au-dessus de nous. C’est mon frère, Titus, qui l’a convaincue de l’enlever. Quand cela a été fait, la vie de chaque loup résidant sous cette barrière avait changé.

Pour nous, c’était comme enlever un masque et respirer profondément pour la première fois. Nous pouvions tous sentir des choses que nous n’avions jamais senties. Cela a fait naître des instincts et des désirs qui n’existaient pas auparavant. Il en était de même pour les métamorphes qui ne venaient en ville que pour le lycée. D’une manière ou d’une autre, la barrière avait coupé tous les loups de ce qu’ils étaient au fond d’eux-mêmes.

Une fois la barrière tombée, les choses s’étaient mises lentement en place. C’était encore plus net pour les loups plus âgés que pour moi, car je n’avais commencé à me transformer que récemment, et c’était encore tout nouveau. Je n’avais pas réellement vécu sans tout cela.

Le problème, c’est qu’en raison de la barrière, il n’y avait pas de loups plus âgés capables de nous dire à quoi nous attendre. La meute n’ayant été formée que récemment, notre alpha n’avait que quelques années de plus que moi. Il ne savait même pas qu’il était un loup jusqu’à ce qu’il se transforme accidentellement, en fait il ignorait jusqu’à l’existence des métamorphes.

Alors, que se passait-il avec mon loup à présent? Qui le savait? J’ignorais qui pouvait me le dire.

Ce que je savais, c’est que même si mon loup avait envie de lui et que je le trouvais très beau, ce n’était pas un loup métamorphe. Du moins, je ne le pensais pas.

Il y avait quelque chose de différent chez lui. C’était impossible autrement. Le regarder était comme une drogue qui me donnait envie de me transformer.

Je n’allais pas le faire. Pas même enfermé derrière la porte de la chambre de ma mère. Je ne savais pas encore ce que mon loup pouvait faire. Ira-t-il jusqu’à trouver un moyen de sortir et de s’introduire dans ma chambre pour réclamer l’homme qui dormait dans mon lit ?

Ma queue durcissait encore à l’idée qu’il laisse son odeur sur mes draps. Il fallait que je me change les idées.

Luttant contre tous mes instincts, j’ai enlevé ma chemise et mon jean et je me suis allongé. Au lieu de penser à Hil, j’ai réfléchi à cette impression bizarre d’être dans le lit de ma mère. Je n’y avais pas dormi depuis mon enfance.

 

Ce que j’avais dit à Hil était vrai. Le Dr Tom, le médecin de ma mère, pensait qu’elle allait se remettre complètement. Mais ce que je n’avais pas dit à Hil, c’est qu’elle avait l’air terrible. Des ecchymoses violettes couvraient sa peau claire. Bourrée d’analgésiques, elle me fixait comme si je n’étais pas là.

Ma mère avait toujours été si forte. Si pleine de vie. Avant, je pensais qu’elle était “trop”. A présent, je donnerais tout pour qu’elle redevienne ce qu’elle était.

Il devait y avoir une raison pour laquelle elle ne m’avait pas dit que j’avais des frères, non? Et pourquoi avait-elle toujours refusé de me dire quoi que ce soit sur mon père, même après que je me sois transformé pour la première fois? Il devait y avoir une explication.

Mais rien de tout cela n’avait d’importance pour le moment. La seule chose qui comptait était qu’elle aille mieux. Et j’allais faire tout ce qui était en mon pouvoir pour y parvenir.

 

Assis dans la salle d’attente le lendemain matin, les pensées se bousculaient dans ma tête. Maman aurait-elle l’air mieux? Pire? Les médicaments qu’elle prenait masquaient-ils une blessure à la tête qui la priverait de son intelligence?

J’avais à peine dormi la nuit précédente en pensant à tout cela. Je m’étais comporté comme un idiot à me disputer avec elle. Je donnerais tout maintenant pour effacer ce sentiment de regret.

“M. Shearer?” dit la femme corpulente à la peau foncée derrière le bureau de la réceptionniste.

Me levant, je me suis rapidement mis en face d’elle.

“C’est moi”, ai-je dit, le cœur battant.

“Vous pouvez y aller maintenant”, a-t-elle dit, en me regardant à peine.

Son contact visuel difficile était-il dû au fait que les choses ne s’étaient pas bien passées pendant la nuit? L’effroi m’a saisi en pensant à cette possibilité.

“Elle a été déplacée dans la chambre 201. C’est au deuxième étage. Voulez-vous que je vous explique comment y aller?”

“Vous l’avez changée de chambre?”

Les yeux fatigués de la femme se sont plantés dans les miens. Après seulement une seconde, ils sont redescendus sur la feuille devant elle.

“Il est écrit ici qu’elle a été déplacée en raison d’une amélioration de son état. C’est donc une bonne chose”, a-t-elle dit avec un sourire étudié.

“Merci”, ai-je dit, soulagé, et je me suis dirigé vers les escaliers.

Je n’aimais pas l’odeur des hôpitaux. Surtout depuis que le sens de l’odorat de mon loup s’était développé de manière aussi intense. Cela sentait la mort, et je ne le savais que trop bien.

L’idée de perdre ma mère était insurmontable. Et même si j’essayais de ne pas y penser, cette idée a envahi mon esprit alors que je traversais les couloirs.

Quand j’ai trouvé la chambre 201, j’ai tendu la main vers la poignée et je me suis arrêté. Il fallait que je retrouve mes esprits, je ne pouvais pas laisser mon loup prendre le contrôle. Il fallait que je lutte pour le repousser.

Je ne supporterais vraiment pas que l’état de maman ait empiré. Toute cette histoire était un cauchemar. Mon cœur s’emballait et ma respiration devenait difficile.

Rassemblant autant de courage que possible, j’ai frappé et appuyé légèrement sur la porte. En jetant un coup d’œil, j’ai retenu mon souffle.

“Cali?” a dit une voix faible mais familière depuis l’intérieur.

“Oui, c’est moi, maman.”

“Je suis contente de te voir”, a-t-elle dit avec des yeux ensommeillés et un sourire.

En laissant la porte se fermer derrière moi, je me suis déplacé sur le côté de son lit. Bien qu’elle soit plus éveillée qu’elle ne l’était la nuit précédente, elle avait peut-être l’air pire. Toutes ses ecchymoses violettes avaient noirci. Je ne pouvais pas imaginer que ce soit un bon signe, mais ne l’avaient-ils pas déplacée dans une nouvelle chambre parce qu’elle allait mieux?

“C’est si grave que ça, hein?” a dit ma mère en lisant l’inquiétude sur mon visage.

“Non, maman. Tu as l’air d’aller mieux.”

Ma mère a souri. “Voici un secret, Cali. Tu as un tic quand tu mens. Une mère le sent,” dit-elle en exagérant son accent jamaïcain habituellement léger.

Est-ce que c’était vrai? Pouvait-elle savoir quand je mentais? Je mentais certainement cette fois-ci.

“Maman, comment est-ce arrivé?”

La tristesse a envahi les yeux de ma mère. C’était le même regard que celui qu’elle avait à chaque fois que j’évoquais mes frères nouvellement découverts.

“Est-ce que cela a quelque chose à voir avec mon père?”

Elle m’a regardé, fixant mes yeux.

“C’est le cas, n’est-ce pas?”

“Je ne le sais pas. Et toi non plus, alors ça ne sert à rien de poser des questions à ce sujet.”

“De quoi tu parles? Quelqu’un m’a dit que ta voiture a été emboutie. Tu aurais pu être tuée. J’ai failli te perdre. Si tu es toujours en danger, je dois le savoir. Si quelqu’un essaie de te faire du mal à cause de moi…”

Maman a pris ma main dans la sienne. En la regardant, je ne voyais que les tubes attachés à ses bras.

“Ce qui s’est passé était un accident. Il n’y a rien d’autre à dire à ce sujet.”

“Mais si ça ne l’était pas? Tu dois me dire qui est mon père. Si c’est quelqu’un de dangereux, je dois le savoir. Titus, Claude et moi, nous devons le savoir.”

Pour la première fois depuis que j’avais découvert qu’il y avait plus de choses dans mon passé que ce qu’on m’en disait, ma mère m’a regardé avec empathie. J’espérais que cela serait suivi d’une explication. Ce ne fut pas le cas.

“Même maintenant, tu ne vas rien me dire?”

“Cali, il n’y a rien à dire”.

Même si j’étais soulagé que ma mère redevienne peu à peu elle-même, j’étais à nouveau furieux contre elle. Je méritais de connaître la vérité. Elle me cachait une partie de qui j’étais.

Peut-être que si je savais qui était mon père, cela expliquerait des choses sur moi que je ne comprenais pas. Je voulais crier cela à ma mère, mais je ne pouvais pas. Pas maintenant, et peut-être plus jamais.

“Je vais manquer un peu l’école pour m’occuper du bed-and-breakfast”, lui ai-je dit, changeant de sujet.

“Non!” répondit-elle vigoureusement.