PRISE, TRANSFORMÉE ET RÉCLAMÉE

Prologue

 

Kylie posa son regard sur le visage de son petit ami. Il était en partie recouvert par des ombres foncées à cause de l’éclairage orange de la cabine. Quand il se tourna pour lui sourire, ses dents capturèrent la lumière émise par la lune et se mirent à briller dans la nuit avec une blancheur éclatante. Kylie adorait son physique. C’était le garçon qu’elle avait toujours voulu, et elle savait qu’il la désirait lui aussi.

Le corps presque nu de la jeune fille fut parcouru de frissons au moment où la brise marine l’atteignit. Elle était excitée. Ils allaient être seuls, et là où ils iraient, ils pourraient faire tout ce qu’ils voudraient. Elle adorait être nue. Elle aimait déambuler sans aucun vêtement en sachant que son petit ami était incapable de la quitter du regard. Et ils partaient sur une île déserte. Ils pourraient être nus autant qu’ils le voudraient.

Kylie ne put s’empêcher de glousser.

“Quoi ?”, demanda son petit ami.

Elle n’arrivait pas à s’arrêter. Elle était toute excitée, et elle était sûre que son visage était en train de virer au rouge. Elle avait du mal à supporter le fait de porter son bikini, alors pendant que le bateau à moteur parcourait les derniers mètres qui le séparaient du rivage, elle se leva pour aller vers la poupe.

Son petit ami fit ralentir le bateau pour laisser les petites vagues pousser la coque sur le sable. Kylie se pencha vers l’avant au moment du contact avec la terre ferme, puis elle se redressa pour se tourner vers lui.

Avec un grand sourire, elle dénoua les cordons du haut de son bikini minuscule. En laissant ce dernier tomber sur le pont, elle fit descendre ses mains jusqu’à sa taille. Le dernier morceau de tissu qui la couvrait toucha le sol et elle leva ses mains au-dessus de sa tête en offrant à son petit ami une vue totalement dégagée.

Celui-ci était pratiquement incapable de faire un geste. Il devait jeter l’ancre sur la rive, mais il était distrait par le sang qui quittait sa tête pour affluer dans son short. Lorsqu’il fit un pas vers elle, elle recommença à glousser et elle sauta par-dessus bord., et il reprit le contrôle.

Kylie nageait nue dans l’eau chaude et sombre. Elle ferma les yeux, et elle sentit les vagues glisser sur sa peau. C’était troublant. Elle se tourna pour se mettre sur le dos et elle bougeait légèrement les bras pour continuer de flotter à la surface. L’eau affluait vers la chair congestionnée de son entrejambe. Le plaisir faisait battre son cœur à tout rompre.

Elle voulait que son petit ami la prenne tout de suite, pendant qu’elle flottait. Elle avait besoin que sa rigidité pénètre en elle. Elle avait besoin que son dos dos se cambre et que ses jambes s’enroulent autour du cul de son petit ami. Elle en avait tellement besoin que son corps en tremblait ; et en l’entendant plonger derrière elle, elle sut qu’elle obtiendrait ce qu’elle voulait.

Alors qu’il nageait vers elle, l’excitation était déjà presque trop forte. Elle avait envie de partir en courant. Elle voulait être chassée. Une fois attrapée, elle voulait être prise. En l’entendant approcher, elle se mit debout, elle le regarda droit dans les yeux et elle pataugea vers la rive.

Kylie se remit à glousser car elle savait que la chasse était lancée. Son petit ami se mit à rire en entrant dans le jeu. Elle sortit de l’eau et elle avança sur le sable doux qui cédait sous ses pieds. Les grains s’entassaient entre ses orteils. Alors qu’elle se dirigeait vers la rangée d’arbres qui bordait la plage, son petit ami la saisit par derrière. Ils tombèrent tous les deux sur le sable en riant et en poussant des petits cris aigus, chacun savourant la sensation procurée par les bras de l’autre.

Les lèvres fermes de son petit ami se pressèrent avec force contre les siennes. Il était fort. Elle savait qu’elle ne pouvait pas bouger, même si elle le voulait. Elle laissa sa main descendre sur son jeune corps lisse en sentant les muscles de son dos. Elle le voulait en elle tout de suite. Alors que la chair nue et dure du garçon appuyait sur son ventre, elle remua ses hanches pour amener son haricot gonflé sur son manche dur. Il comprit le message.

Les lèvres de Kylie se détachèrent des siennes au moment où son dos se cambra de plaisir. Son archet jouait avec sa chair congestionnée comme s’il s’agissait d’un violoncelle. Les gémissements de la jeune fille étaient une musique à ses oreilles.

À chaque coup de reins, il s’enfonçait plus profondément en elle. Au moment où la fente de sa tête glissa sur le bout de son clitoris et qu’il se replaça sur les plis de sa chair, elle gémit. Le souffle coupé, elle sentit sa masse imposante entrer en elle. Incapable de se retenir, Kylie cria dans la brise en sachant que personne ne pouvait l’entendre.

Lentement au début, son petit ami accéléra son rythme. Il s’enfonçait de plus en plus fort. C’était presque trop pour elle. Elle tournait la tête d’un côté et de l’autre en cherchant à trouver un soulagement. 

Kylie hurla. Elle sentait l’électricité en train de monter dans ses jambes pour se frayer un chemin jusqu’au centre de son sexe. Ses orteils remuèrent et se tendirent, prêts à se recroqueviller. Un de ses bras s’accrocha au dos de son petit ami alors que l’autre s’attaquait au sable. Chaque coup de reins lui coupait le souffle.

Son petit ami expira profondément. Il devenait plus violent. Il plaça ses genoux entre les jambes de la jeune fille et il écarta ses cuisses. En forçant ses genoux à rester en l’air, il laissa son aine claquer contre ses lèvres gonflées.

Il prit ses poignets pour les immobiliser au-dessus de sa tête et il planta ses yeux dans les siens. L’énergie féroce qu’il vit dans ces derniers était de la même force que la sienne. Au moment où il sentit que sa peau se raidissait et que son orgasme était en train de monter, il ne put rien faire pour l’arrêter.

L’esprit de Kylie flottait au moment où son orgasme explosa. Elle gémit de plaisir. Elle arrêta de respirer et le temps se figea.

C’est à ce moment qu’elle vit la créature. Ça devait être un chien, mais ce n’était pas tout à fait ça. Son museau était plus long et ses yeux étaient bleus, presqu’humains plutôt que canins. La manière dont il la fixait d’un regard quasi lubrique lui donna envie de crier.

Kylie haleta. Elle était incapable de réfléchir. Elle était encore sous l’emprise de son orgasme. Elle était incapable de parler. Elle était incapable de bouger. La créature regarda son petit ami qui ne se doutait de rien. Elle se ramassa et elle bondit sur lui, et Kylie ne put rien faire d’autre à part observer la scène.

Son petit ami n’avait pas dit un mot. Les cris qu’il avait poussés quand il avait joui avaient couvert tous les autres sons qu’il aurait pu émettre. Lorsqu’il se tut et qu’elle retrouva sa voix, elle leva les yeux. La créature n’était pas seule.

Les yeux des autres la fixaient comme si elle était une proie alors qu’ils l’encerclaient. Cette fois, elle fut réduite au silence par une peur qui la submergea toute entière. Au moment où la créature porta son attention sur elle, Kylie sut de quoi il s’agissait : un loup.

Ça n’avait aucun sens. Aucun loup ne vivait sur des îles désertes des Bahamas. Pourtant ils étaient là, et elle était sur le point de mourir.

 

 

Chapitre 1

 

Sakina s’assit sur la banquette arrière de la camionnette de sa mère, une grimace de dégoût clairement visible sur son visage. Elle n’en revenait pas que sa mère puisse la détester à ce point-là. Même si cette dernière ne l’avait jamais dit ouvertement, il n’y avait aucune autre explication possible.

Saki avait grandi aux Bahamas. Elle n’avait jamais été populaire. Comparée aux autres enfants, elle était trop grosse, trop intelligente et trop énergique. Dans sa tête, Saki se qualifiait de passionnée au lieu d’excessivement dynamique, mais cette manière de voir les choses n’avait pas rendue son enfance plus facile pour autant.

Elle avait survécu à l’école primaire. Elle l’avait quittée avec deux meilleures amies et avec le garçon qu’elle voulait. Étant donné la manière dont les choses se passaient chez elle, elle acceptait sa vie, même avec des sœurs jumelles qu’elle appelait les “demi-sœurs jumelles démoniaques” bien qu’elles aient toutes les trois les mêmes parents.

Ça ne dura pas. Sa mère, qui les avaient élevées elle et et ses sœurs jumelles, rencontra un homme qu’elle suivit jusqu’en Caroline du Nord. Saki fut obligée de quitter ses amies et de commencer le collège dans un environnement culturel dont elle ignorait les règles.

Repartir de zéro pour ce qui était de sa vie sociale était une tâche quasi insurmontable. Dans sa nouvelle école, elle était la fille de 12 ans grande et grosse qui avait un accent bizarre et une personnalité ennuyeuse. Personne ne voulait être ami avec elle.

Saski mit une éternité à trouver sa nouvelle meilleure amie, et encore plus à trouver une niche qui leur correspondait à toutes les deux. Pourtant, elle réussit à le faire. Des années de ténacité lui permirent de faire partie du comité en charge de l’album de sa promotion, ainsi que de la chorale et du groupe de l’école.

Elle n’aimait pas la musique et elle se moquait totalement du fait de conserver des souvenirs pour un lycée rempli de personnes qui avaient fait de sa vie un enfer. Mais ça l’aida à s’intégrer.

Saki se jura que sa dernière année marquerait son triomphe suprême. Après des années de dur labeur, elle allait être proche du sommet de l’échelle sociale. Elle ne pouvait pas rivaliser avec les joueurs de football et avec les pom-pom girls, mais désormais elle avait sa place. Elle allait profiter au maximum de l’opportunité qui s’offrait à elle.

Tout prit fin le jour où en rentrant de l’école, ses sœurs et elles trouvèrent leur mère en train d’emballer toutes leurs affaires, s’arrêtant uniquement pour pleurer de manière hystérique. Sa mère leur apprit qu’elles allaient retourner dans la maison de leur enfance, aux Bahamas, et qu’elles ne reviendraient jamais. Ainsi, après deux semaines en terminale, Saki monta dans un autre avion en réfléchissant sur la manière dont elle devait à nouveau recommencer sa vie.

Dans la camionnette, Saki observa Bonnet Blanc et Blanc Bonnet, un autre surnom qu’elle donnait à ses sœurs. Bonnet Blanc et Blanc Bonnet regardaient dehors. Bonnet Blanc et Blanc Bonnet étaient assises sur le siège avant et regardaient en silence la voiture en train de franchir les portes de l’école.

Personne ne parlait. Leur mère, qui était connue pour ses sautes d’humeur, avait déjà piqué une crise quand une des jumelles avait exprimé son mécontentement. En voyant la manière dont sa mère réagissait aux objections de ses sœurs, Saki n’osa pas partager les siennes.

Sa consolation, c’était le fait qu’elle irait dans la même école que le garçon de ses rêves d’enfant. Elle avait souvent pensé à Clint. Elle se demandait comment son corps s’était transformé. Les années s’étant écoulées sans que rien ne lui prouve le contraire, elle l’imaginait comme étant la perfection incarnée. Malgré toutes les choses horribles qui arrivaient, elle avait au moins l’opportunité de reprendre contact avec le mec avec qui elle voulait passer le reste de sa vie.

La camionnette descendit les derniers mètres de la colline qui entourait l’école. En se tournant vers la vitre, Saki regarda le grand chemin au-delà du terrain de basket. Tout était exactement comme dans ses souvenirs. Cet endroit lui avait toujours fait peur. Cette école avait la réputation d’être dure, autant sur le plan scolaire que social. Elle créait autant de dirigeants au sein de la communauté que de voyous. Après avoir lu Sa Majesté des Mouches dans son enfance, elle se la représentait comme étant une adaptation de ce roman dans la vie réelle. Mais dans cette version, sa tête finirait sur une pique.

Alors que la camionnette commençait à ralentir en face du bâtiment administratif, Saki scruta tous les visages à la recherche de Clint. Elle savait que son visage couvert de taches de rousseur et ses cheveux noirs le démarqueraient des autres étudiants. Il n’y avait pas beaucoup de blancs, tout au plus une vingtaine sur les 150 élèves qui étaient en terminale comme elle. Elle n’était pas sûre que ses demi-sœurs jumelles démoniaques et elle seraient considérées comme faisant partie de ce groupe, mais de toute façon elle n’y accordait aucune importance.

Saki le trouva au moment au moment où elle sortit de la camionnette. Clint était exactement comme elle l’avait imaginé. Son corps et son visage étaient plus minces. Et elle fut surprise de voir une fine moustache qui cassait son côté enfantin.

Le fait de le voir dans les premiers instants de sa nouvelle vie était un signe. Peut-être que tout allait bien se passer après tout. Elle reprit ses esprits.

“Clint !”, cria-t-elle en sortant de la camionnette. “Clint !”,

Quand Clint se tourna vers Saki, leurs regards se croisèrent. Elle fut tout de suite parcourue de frissons. Elle avait tellement pensé à lui avec des détails si intimes que des parties de son corps de jeune fille de dix-huit ans avaient très envie de lui. Alors quand Clint se tourna vers le mec qui se trouvait à côté de lui et qu’il s’éloigna brusquement, Saki fut stoppée net dans son élan.

“Quel bâtard !’, dit-elle d’une voix suffisamment forte pour que les personnes qui se trouvaient autour d’elle puissent l’entendre.

“Surveille ton langage Sakina.”, ordonna sa mère.

Sakina se tourna vers sa mère dont l’attention était fixée sur le bâtiment administratif. “Mais tu ne comprends pas. Je connais ce mec.”, Saki cherchait un moyen d’expliquer son immense déception. Elle était dévastée. Comment l’exprimer avec des mots ?

“Tais-toi et oublie ça, tu t’en remettras”, dit sa mère en laissant les filles derrière elle.

“Ouais, c’est vraiment une mère horrible“, décida Saki.

Alors que les jumelles suivaient leur mère comme son ombre, la jeune fille suivait en maintenant une certaine distance. Elle prit le temps d’observer attentivement son nouvel environnement. Face à elle, tous les bâtiments en briques étaient alignés en rangées et reliés par des cours et des allées. Directement en face d’elle, il y avait trois rangées, et au loin il y en avait deux autres étaient alignées sur le campus inférieur.

Il y avait des cocotiers et des buissons un peu partout. Toute la pelouse était bien entretenue, et il y avait des élèves partout. Ils avaient tous une chemise blanche et, pour la plupart, des chaussures noires. Les filles portaient des jupes bleues à carreaux, et les garçons des pantalons verts unis.

Saki entra dans le bâtiment administratif et trouva sa famille réunit à l’accueil. En essayant de rester le plus loin possible, elle trouva un siège dans l’angle opposé de la grande pièce vide. Elle s’assit et elle attendit en silence, tout en observant les allers et venues des élèves.

Une personne attira immédiatement son regard. Il devait s’agir d’un de ces voyous en devenir qui faisaient la célébrité de l’école. Il était grand, et il avait un teint hâlé qui pouvait être simplement dû à son origine ethnique. Il avait des cheveux noirs bouclés et une expression de dégoût qui rivalisait avec celle qu’elle affichait.

Contrairement à la plupart des autres adolescents, il entra dans la salle d’attente en venant du couloir qui menait aux bureaux de l’administration. Au lieu de se diriger tout de suite vers la porte, il trouva un siège près de Saki et il s’assit.

Le cœur de Saki battait à tout rompre. Il l’effrayait, mais elle était aussi forcée d’admettre qu’il y avait quelque chose d’excitant chez lui. Elle n’avait jamais traîné avec des mauvais garçons, mail il dégageait un truc qui l’amena à penser  qu’il n’était pas aussi dangereux qu’il en avait l’air. Il la surprit en train de le regarde fixement au moment où il se retourna et qu’il la regarda droit dans les yeux.

“Quoi ?”, dit-il d’une voix intense et séduisante.

Elle n’arrivait pas à parler, et elle ressentit une profonde reconnaissance lorsqu’elle entendit la voix stridente de sa mère.

“Sakina ?”

Elle rejoignit sa famille à l’accueil. L’assistante administrative voulait lui donner un emploi du temps. Elle le prit, la tête à moitié ailleurs. Lorsqu’elle estima qu’elle pouvait se retourner sans risque, elle chercha le mauvais garçon du regard. À sa grande déception, il était parti.

Après avoir récupéré son emploi du temps et une fois qu’on lui eut indiqué le lieu de sa salle principale, elle recula et elle attendit les jumelles. Elles avaient l’air un peu effrayées par le fait d’avoir été séparées dans des classes différentes. Même si Saki ne doutait pas de leurs sentiments, mais leur manière de les étaler l’irrita. C’était comme si elles montaient un spectacle pour tout le monde. Comme d’habitude, leur mère se laissa convaincre par leur cinéma et elle se précipita pour les prendre toutes les deux dans ses bras.

Saki ne pouvait pas en supporter davantage. En sifflant entre ses dents pour montrer son dégoût, elle se dirigea vers la sortie.

“Tu ne dis pas au revoir ?”, demanda sa mère.

Elle se retourna et elle fixa le trio. Elles pouvaient toutes les trois aller en enfer, aussi loin que l’intérêt qu’elle leur portait. Toutes les trois, elles étaient Bonnet Blanc, Blanc Bonnet et la mère.

“Au revoir”, dit-elle en roulant des yeux et en sortant de la pièce.

Une fois dehors, , elle se demanda à quel point cette expérience allait être difficile. La seule et unique personne qu’elle connaissait l’avait déjà rejetée, et elle n’avait jamais été douée pour se faire des amis.

Soudain, le poids cette constatation s’abattit sur elle, et ce ne fut qu’au moment où la sonnerie de l’école retentit qu’elle retrouva ses esprits. Elle jeta un dernier regard autour d’elle. Elle regarda fixement l’étang qui se trouvait de l’autre côté de la rue par rapport au bâtiment administratif. Elle regarda le monastère de l’école situé en haut de la colline. Tout était impressionnant, mais intimidant aussi.

Au moment où Saki entendit les portes du bâtiment administratif s’ouvrir derrière elle, elle commença à se diriger vers sa salle principale. Elle examinait tout : la croix de la taille d’un mât entourée de bancs en béton qui se dressait à proximité du chemin menant vers la première cour, les fenêtres des salles de classe avec des volets en métal et sans rideau, et la manière dont les salles de classe situées dans les bâtiments en briques étaient séparées par des lignes blanches larges de 30cm afin qu’il soit possible de les différencier depuis l’extérieur. Comme elle avait grandi dans ce pays, tout lui paraissait familier. Et en même temps, tout était étranger.

Les élèves se mettaient déjà tous en rang pour rentrer dans leurs  salles principale lorsque Saki trouva la rangée dans laquelle la sienne se trouvait. Elle resta debout à l’extérieur de son rang en observant fixement le groupe d’élèves qui se trouvaient sur le trottoir. Ils n’avaient pas l’air sympathiques. Son cœur battait la chamade et elle avait l’impression de ne plus pouvoir respirer. Elle était prête à faire demi-tour et à rentrer chez elle si ça signifiait ne pas devoir tout recommencer à zéro une fois encore. Elle était sur le point de le faire quand quelque chose de brillant attira son regard vers la pelouse.

En regardant de plus près, il s’avéra qu’il s’agissait d’une breloque ou d’un médaillon. Elle leva de nouveau les yeux vers les rangs des classes pour vois si quelqu’un d’autre l’avait vu. Personne ne faisait attention. Même si tout le monde évitait de marcher sur la pelouse, elle monta dessus, elle s’accroupit et elle fit glisser l’objet en métal entre ses doigts.

Elle l’examina. Il mesurait à peu cinq centimètres de diamètre, il était rond et il y avait une pierre verte au milieu. Celle-ci était entourée de gravures. Elle ne savait pas ce qu’elles représentaient. Une d’elles ressemblait à un chien et une autre à un humain. Toutes celles qui se trouvaient entre ces deux dernières étaient des créatures imaginaires. Ce bijou avait certainement de la valeur.

“Jeune fille”, la voix d’un homme plus âgé la sortit de ses observations. Saki leva les yeux et découvrit un homme de couleur barbu portant la tenue caractéristique des professeurs composée d’une chemise à manches courtes boutonnée jusqu’en haut et d’un pantalon de ville. “Sortez de la pelouse.”

Elle glissa le médaillon dans la paume de sa main, et elle obtempéra.

Le professe n’attendit pas qu’elle revienne sur le trottoir pour reprendre sa route. Saki marcha derrière lui et finit par se rendre compte qu’ils se rendaient au même endroit. Elle aurait espéré faire une meilleure première impression sur son professeur principal plutôt que d’enfreindre une des règles de l’école devant lui le premier jour.

Alors qu’il se tenait à la porte de la salle de classe en attendant que les élèves rentrent, il se retourna et il vit Saki. “Vous êtes ma nouvelle élève ?”

“Je crois que oui.”

Le professeur l’examina des pieds à la tête de manière ostensible et il émit un petit rire guindé. Saki ne savait pourquoi. Sans un mot de plus, il tourna les talons et il entra dans la salle de classe. Saki le suivit.

En pénétrant dans la pièce, elle découvrit un mélange d’objets à la fois étrangers et familiers. Il y avait les choses classiques, comme un tableau noir et des panneaux d’affichage. Cependant, ils étaient tous accrochés sur des blocs en béton brut. Les fenêtres en métal étaient ouvertes, et deux ventilateurs de plafond brassaient l’air matinal alors que le temps devenait de plus en plus lourd et étouffant.

Les élèves aussi semblaient à la fois familiers et étrangers. Les visages et les uniformes ressemblaient à ceux de tous les élèves qu’elle avait vus entrer et sortir de l’école alors qu’elle était enfant. Ils avaient tous l’air très bahamiens. Les filles avaient des tresses et des cheveux permanentés, alors que les garçons avaient l’air rustiques, assis sur leurs chaises en se donnant un genre. Comme partout aux Bahamas, il y avait une multitude de couleurs de peau différentes comprenant toutes les teintes comprises alalnt du noir au blanc.

Cependant deux groupes se démarquaient dans la classe de 30 élèves. Le garçon qu’elle avait vu dans le bâtiment administratif se trouvait au centre du premier. En le revoyant, Saki sentit son cœur se serrer. Il avait l’air encore plus intimidant avec une fille et trois mecs rassemblés autour de sa table. Il l’avait vue rentrer et il la fixait du regard.

Il n’était pas le seul à avoir les yeux rivés sur elle. L’autre regard appartenait à un garçon blond à la peau claire assis d’un côté de la salle. Les quatre mecs qui l’entouraient se ressemblaient tous.

Les membres de ce groupe portaient des chemises blanches de marque, alors que tous les autres élèves portaient les chemises blanches de l’uniforme bon marché qu’on trouvait dans toutes les boutiques vendant des uniformes scolaires. En plus, les manches de leurs chemises à manches courtes étaient roulées et leurs cheveux raides étaient lissés vers l’arrière. Au lieu des chaussures noires de l’uniforme, ils portaient des chaussures bateaux marrons. Ils avaient tous l’air de sortir d’une publicité pour du parfum.

“Installez-vous tous”, dit le professeur, déclenchant le chahut parmi les élèves. “C’est une nouvelle élève.”, commença-t-il en fouillant dans ses papiers. “Je suis désolé, quel est votre nom ?”

“Sakina. Mais vous pouvez m’appeler Saki.”, dit-elle à l’attention de la classe.

“Votre nom complet, ma chère.”

Saki regarda de nouveau le professeur, convaincue qu’il devait connaître cette information. “Sakina Lightbourn.”

“Faites tous en sorte que Sakina se sente la bienvenue.”

Saki scruta les jeunes visages. Ils n’étaient pas très chaleureux. Elle chercha une place libre. Il n’y en avait qu’une : la table située au centre du premier rang. Elle se tourna vers le professeur pour obtenir des instructions. Il tendit la main en montrant la chaise. Saki s’assit en se demandant si elle aurait éventuellement pu avoir une place pire que celle-ci.

Elle pouvant sentir tous les yeux de la pièce en train de la fixer. Elle détesta sa mère à cet instant. Pourquoi est-ce qu’elle n’avait pas pu finir sa dernière année en Caroline du Nord ? Ou pourquoi est-ce qu’elle les avait fait déménager pour commencer ? Elle n’y comprenait rien du tout. Mais coincée la où elle était, il était temps pour elle de nager ou de couler.

Une fois que les annonces du matin commencèrent à se faire entendre dans les hauts-parleurs, le brouhaha des voix des élèves recommença. Elle ressentit du soulagement. En regardant par-dessus son épaule elle observa attentivement le groupe qui était contre le mur et qui devait être celui des élèves cool. Ils étaient tous mignons, mais celui qui était au centre l’était tout particulièrement. Il ressemblait à un mannequin. Son visage était étroit et son corps était mince. Ses mouvements étaient empreints d’autorité, et les quatre autres garçons semblaient suspendus à ses lèvres;

En regardant par-dessus son épaule droite, elle vit le mauvais garçon et sa bande. Il y avait quelque chose chez eux qui faisait qu’ils ressemblaient plus à un gang. Celui à côté duquel elle avait été assise dans le bureau administratif était définitivement mignon, mais d’une façon intimidante. Il regardait fixement par la fenêtre, perdu dans ses pensées. En l’observant plus attentivement, il avait presque l’air inquiet. Plu elle le regardait, plus il avait l’air d’un mec qui porte tous les malheurs du monde sur ses épaules.

Elle aurait pu passer toute la journée à le dévorer des yeux. Elle l’aurait fait si elle n’avait pas croisé le regard de la seule fille du groupe. Celle-ci n’avait pas l’air d’être une personne expressive et profonde, elle semblait juste en colère. Lorsqu’elle lança à Saki son regard “qu’est-ce que tu regardes là”, cette dernière détourna immédiatement les yeux.

Son cœur battait la chamade alors qu’elle essayait de trouver un moyen de survivre. Peut-être qu’elle allait renoncer au fait d’essayer de se faire des amis et qu’elle se contenterait de se concentrer sur ses devoirs. Elle avait toujours été douée pour les études. Elle avait toujours eu des facilités pour comprendre et assimiler les cours. C’était tous les autres aspects de la vie qui étaient difficiles.

“Clint“, se dit-elle en se rappelant ce qui s’était passé. “Comment est-ce qu’il a pu me faire ça ? Peut-être qu’il ne m’a pas reconnue”, pensa-t-elle pour se consoler. Après tout, ça semblait plausible. Même si elle avait souvent pensé à lui et qu’elle l’avait mis sur un piédestal, ça ne voulait pas dire qu’il avait pensé à elle depuis le jour où ils avaient quitté l’école primaire. Elle se dit qu’elle lui donnerait une deuxième chance pourvu qu’il lui montre qu’il n’était pas devenu un connard depuis la dernière fois où ils s’étaient parlés.

Saki desserra la main dans laquelle elle avait placé le médaillon pour examiner celui-ci. Il était plus lourd que ce qu’elle avait pensé par rapport à sa taille. Il dégageait quelque chose qui faisait qu’elle n’avait pas envie de de le quitter des yeux. Il avait un pouvoir hypnotique. Elle le retourna dans tous les sens, et en le regardant de plus près elle vit quelque chose qui ressemblait à une inscription. Elle se pencha pour essayer de déchiffrer les marquages en se demandant si le texte était en anglais

“Faites-moi voir ça”, dit le professeur dont la voix retentit devant elle.

Saki fut prise au dépourvu. Elle avait l’intention de remettre le médaillon à l’administration dès qu’elle aurait fini de le regarder sous toutes ses coutures. Elle avait attendu trop longtemps.

“Il n’est pas à moi. Je l’ai trouvé.”, précisa-t-elle en tendant l’objet.

Le professeur fixa ce dernier d’un air interrogateur. “Où est-ce que vous l’avez trouvé ?”

“Dans l’herbe, au bout du trottoir.”

“Alors s’il ne vous appartient pas, je vais le rendre à son propriétaire légitime.”, dit le professeur sur un ton qui sonnait presque comme une accusation.

Ce n’était pas comme ça que Saki voulait commencer dans sa nouvelle école.

 

La matinée se poursuivait de manière aussi embarrassante qu’elle avait commencé. Les classes étaient toutes difficiles à trouver, et à chaque fois elle se retrouvait au milieu du premier rang. Entre les cours, elle ne réussit pas à trouver son casier. À l’heure du déjeuner, elle s’assit à une table vide au milieu de la salle.

Les choses ne firent qu’empirer par la suite lorsqu’elle entendit une voix citer son nom dans les hauts-parleurs. “Sakina Lightbourn pourrait-elle se présenter au bureau du principal ? “Sakina Lightbourn veuillez vous présenter au bureau du principal.”

Si Saki avait eu peur à un moment ou à un autre que les gens ne sachent pas qui elle était, elle savait qu’elle n’avait plus de souci à se faire pour ça. Elle leva les mains, attirant l’attention de tous les élèves sur elle.

Elle retrouva son chemin jusqu’au bureau administratif. Elle se présenta et on lui dit de s’asseoir. Elle choisit le même siège que celui sur lequel elle s’était assise quelques heures avant.

“Vous pouvez y aller maintenant. Le bureau du principal, c’est la deuxième porte à gauche.”, lui indiqua l’assistante administrative assise derrière son bureau.

Saki se leva et entra dans le couloir. Elle trouva la deuxième porte.. Deux plaques étaient accrochées sur celle-ci, sur la première on pouvait lire “Principal” et sur la seconde “M. Jenner”. Elle frappa.

“Entrez”, dit une voix forte et chaleureuse derrière la porte.

Elle ouvrit la porte et elle découvrit un petit homme chauve de couleur portant des lunettes en écailles de tortue. Il était assis derrière un grand bureau recouvert de papiers. C’était un grand bureau, mais chaque cm² était occupé par des choses diverses et variées.

Il y avait deux chaises de l’autre côté du bureau. La seule personne qu’elle avait rencontré depuis son arrivée dans l’école, le mauvais garçon, occupait une d’entre elles.

“Asseyez-vous”, dit le principal Jenner.

Saki obtempéra tout en essayant de ne pas regarder le mec qui se trouvait à côté d’elle.

“Est-ce que vous connaissez M. Lafleur ?”

Saki tourna la tête et regarda le mauvais garçon juste une seconde avant de secouer la tête, “Non.” Ce dernier détourna le regard.

“Je vois. Alors, est-ce que vous pouvez me dire où vous avez trouvé ceci ?”

“Je l’ai trouvé sur la pelouse, sur le chemin qui mène à la salle de classe principale.”

“Hum… Et est-ce que vous avez une idée de la manière dont il a fini sur la pelouse ?”

“Non monsieur.”

“Bon, je comprends que vous êtes nouvelle ici, alors je vais vous apprendre que cet objet a été volé dans mon bureau ce matin. Plus tard, M. DeMarco l’a trouvé en votre possession. Vous étiez également dans le bâtiment administratif ce matin, n’est-ce pas ?”

“Oui monsieur.”

“Vous ne trouvez pas ça étrange ?”

“Je ne sais pas monsieur.” Peut-être qu’il ne s’agissait pas de la meilleure chose à dire, mais c’était honnête. Elle pouvait supporter de se rabaisser pour ses sœurs et pour sa mère, mais elle était incapable d’accepter d’avoir à la faire pour des professeurs.

“Ce n’est pas la bonne manière de commencer votre premier jour dans votre nouvelle école”, confirma le principal Jenner. Saki ne répondit pas. M. Jenner poursuivit. “Pendant que vous étiez dans le bâtiment, est-ce que vous avez vu M. Lafleur par hasard ?”

Saki avait commencé à rassembler les pièces du puzzle. Le mauvais garçon avait volé le médaillon. Il s’était passé quelque chose, et celui-ci s’était retrouvé dans l’herbe, là où elle l’avait trouvé. Maintenant qu’ils étaient dans le bureau du principal, elle éclaircissait le mystère. La question était de savoir ce qu’elle allait faire ensuite;

Le principal Jenner avait raison, c’était une manière horrible de commencer son premier jour dans sa nouvelle école. Elle savait que ce qu’elle allait dire, peu importe de quoi il s’agirait, donnerait le ton pour le reste de l’année scolaire. Saky avait toujours été la gentille fille, et ça ne l’avait jamais aidée. Peut-être qu’il était temps pour elle d’essayer quelque chose de nouveau ?

“Son visage ne me semble pas familier.”

“C’est un des élèves de votre salle principale. Son visage ne vous semble pas familier maintenant ?”

“Je suis nouvelle”, dit-elle l’air épuisée. “Comment pouvez-vous me demander si je le connais ? Je ne sais pas, peut-être. C’est juste que… tout ça ça fait beaucoup.” Saki fit de son mieux pour se forcer à pleurer. Au moment où les larmes lui montèrent aux yeux, elle considéra qu’il s’agissait de ce qu’elle avait fait de mieux depuis le début de la journée.

Au moment où elle se pencha en avant et où elle enfouit sa tête dans ses mains, elle entendit M. Jenner reculer sur sa chaise. Ses larmes le mettait mal à l’aise, tandis que le mec assis à côté d’elle retrouvait le moral. Saki savait qu’elle pouvait continuer comme ça toute la journée. Si M. Jenner était mal à l’aise, elle allait s’assurer d’être libérée sans qu’aucune autre question ne lui posée.

Le principal se tortilla dans sa chaise pendant un petit moment avant de parler. “Bon, je vais vous laisser partir tous les deux. Mais cet objet n’est pas un jouet”, souligna-t-il en touchant le médaillon. “Il s’agit également d’un bien appartenant à l’école. Alors s’il devait disparaître à nouveau, il y a deux personnes que j’interrogerai en premier. Et la prochaine fois ce sera avec la police. Vous avez compris ?”

Saki s’essuya les yeux, soulagée que ce soit fini. “Oui monsieur.”

“Ouais”, dit M. Lafleur, en faisant preuve d’une gratitude réduite au strict minimum.

“Bien, Vous pouvez partir.”

Fière d’elle, Saki se leva. Le mec qui se trouvait à côté d’elle devait être le mec le plus dangereux de l’école, et désormais il lui devait une faveur. Elle n’arrivait pas à croire en sa chance. Alors qu’elle traversait le couloir, elle l’entendait marcher derrière elle. Elle se demanda à quoi il était en train de penser. Est-ce qu’il allait l’aborder maintenant ou plus tard ? Où est-ce que leur amitié pourrait bien les mener ?

Il fallait dire la vérité, il était vraiment beau. Peut-être que cet incident ferait de lui son premier petit ami. À ce stade, les possibilités étaient infinies. Pour la première fois, sa nouvelle vie lui sembla radieuse.

Saki continua d’avancer pour revenir dans sa classe, très attentive au mec qui la suivait à une distance de quelques pas. Au  moment où ils sortirent du champ de vision de toute personne présente dans le bâtiment administratif, elle se tourna vers lui. Mais il était trop tard, il avait déjà filé.

Saki le regarda pendant qu’il marchait. Sa démarche était sexy. Elle était lente et dangereuse. Saki se demandait ce que ça ferait de l’embrasser.

 

Elle passa le reste de la journée à espérer le croiser de nouveau. Mais chaque cours ressemblait au précédent. À chaque fois elle finissait assise au premier rang sans parler à âme qui vive.

Elle pensait qu’elle ne parlerait à personne de toute la journée, jusqu’à ce qu’elle finisse par trouver la salle où se trouvait son casier. En ayant trimballé tous ses livres avec elle depuis son arrivée, elle fut heureuse de pouvoir se soulager de ce poids. Tout en vidant son sac, elle regarda toute les autres filles sortir de la pièce.

Visiblement seule, Saki leva les yeux à temps pour voir un visage familier faire son entrée. C’était la fille de la classe principale qui s’asseyait avec le mauvais garçon. Elle eut la certitude que c’était ainsi qu’elle commencerait à être remboursée. Mais au fur et à mesure que des filles rentrèrent les unes derrière les autres, elle commença à avoir des doutes.

“Oh, mais ça ne serait pas la nouvelle ? Vous la voyez ? C’est la nouvelle”, dit la fille en colère d’un ton moqueur. Elle colla sa poitrine à celle de Saki. Elle était un peu plus petite que cette dernière, mais ça ne semblait pas du tout la freiner. “Alors la nouvelle, dis-moi, comment tu as piqué le médaillon à Lane ?”

“Quoi ? Je n’ai pris le médaillon à qui que ce soit. Je l’ai trouvé.”

“Ouais, bien sûr. Et donc tu l’as ramassé par hasard dans l’herbe ?”

La fille poussa Saki dans les casiers. Celle-ci ne comprenait pas ce qui était en train de se passer. Elle ne s’était jamais battue avec personne, à part avec ses sœurs. Mais plus important encore, elle avait sauvé la peau de Lane. Elles ne s’en rendaient pas compte ? Sans elle, Lane serait peut-être allé en prison. Elle lui avait fait une faveur.

“Alors tu vas me dire comment tu l’as pris ?”, dit la fille en colère pendant que trois de ses amies se rapprochaient d’elles.

“Je t’ai dit que je l’avais trouvé”, dit Saki, ne sachant pas quoi dire d’autre.

‘Tu l’as trouvé hein ? C’est ce que t’as fait ?”, dit la fille en poussant la tête de Saki sur le casier en métal.

“Wow !”; dit Saki, paniquée. Qu’est-ce qu’elle était censée faire ? Se défendre ? C’était un quatre contre une. Elle n’arrivait même pas à gagner contre une de ses sœurs, et elles avaient deux ans de moins, mais 20kg de plus. “Laisse-moi partir !”; hurla Saki.

Les autres filles, certaines plus grandes et d’autres plus petites que la première, commencèrent toutes à la pousser. Elle ferma les yeux et elle baissa la tête pour se faire aussi petite que possible. Mais il était impossible d’échapper à la pression des doigts et des paumes sur ses épaules, sur sa poitrine et sur sa tête.

Son corps bringuebalait d’un côté à l’autre. Elle vivait un cauchemar. Son cœur battait à toute vitesse et un gémissement lent s’échappa de ses lèvres, les bousculades et les piqûres devinrent plus violentes. “Elles vont me tabasser”, se dit-elle en se laissant lentement tomber à terre.

Au moment où le métal des casiers griffa son dos, les bousculades devinrent des coups de pied. Ils n’étaient pas trop violents au début. Ils ressemblaient plus à des petits coups de coude pour lui rappeler qu’elles étaient là. Comme les filles n’obtenaient pas ce qu’elles voulaient, les coups de pied devinrent plus forts. Lorsque le premier coup déclencha une douleur qui parcourut toute sa jambe, elle sut qu’elle avait de gros problèmes.

“À l’aide”, cria Saki à l’attention d’un campus hostile.

Les coups devinrent beaucoup plus violents. Ils faisaient tous mal maintenant. Elle n’arrivait même pas à les compter.

Elle s’était roulée en boule et elle protégeait sa tête avec ses mains et son dos avec le casier. Mais ses cuisses et ses mollets devinrent écarlates à cause des marques douloureuses qui l’affaiblissaient, mais qui l’humiliaient aussi. Elle voulait pleurer, mais elle n’avait pas le temps pour ça. Tout ce qu’elle pouvait faire, c’était survivre et, sur le moment, même ça ça semblait trop demander.

Les coups de pied devinrent de plus en plus intenses jusqu’à ce que, par bonheur, elles finissent par s’arrêter. Le son du cuir rigide en train de racler contre le béton brut résonna dans la pièce. Apparemment elles étaient en train de partir précipitamment. “Est-ce que ce serait fini ?“, se demanda-t-elle. Est-ce que le cauchemar qu’avait été le premier jour du reste de sa vie était enfin terminé ?

“Vous allez bien ?”, demande une voix familière venant de derrière les portes de la salle.

Saki leva la tête et ouvrit les yeux. Elle était un peu étourdie, mais elle se recroquevilla au moment où une vague de douleur la parcourut. C’était écrasant.

Elle avait vraiment très envie de pleurer. Elle regarda vers la porte ouverte en espérant voir un visage compatissant. Elle espérait que ce serait une personne sur laquelle elle pourrait enfouir sa tête et chialer. Elle avait besoin, juste pour un instant, juste pour un brève moment dans sa vie, de se sentir en sécurité et d’avoir le sentiment qu’on faisait attention à elle. Elle avait besoin d’un visage amical. Mais au moment où elle leva les yeux, elle ne vit que M. DeMarco, son professeur principal. C’était lui qui l’avait mise dans le pétrin à l’origine.

Non, Saki ne lui offrirait pas la satisfaction de savoir que lui et toute son école l’avaient brisée aussi vite. Elle ne pleurerait pas devant lui. D’une manière ou d’une autre elle prendrait sur elle et elle supporterait sa solitude. Elle devait se consoler seule. Personne d’autre ne s’en souciait.

“Vous allez bien ?”, répéta M. DeMarco.

Saki refusait de parler par peur que le fait d’ouvrir la bouche puisse ouvrir les vannes des émotions qu’elle réprimait. À la place, elle lutta pour arriver à se mettre debout.

Son corps hurlait de douleur. Elle grimaça et elle ralentit. M. DeMarco ne bougea pas d’un pouce, et elle ne s’attendait pas à ce qu’il le fasse. Lorsqu’elle fut sur ses pieds, elle se tourna vers son casier et, au lieu de répondre, elle termina ce qu’elle avait à faire.

Elle sortit ses livres de son sac et elle les rangea dans le casier vide. À chaque fois qu’elle se penchait pour sortit un livre,  elle ressentait des douleurs horribles, et elle espérait que M. DeMarco ferait demi-tour et qu’il partirait. Mais ce ne fut pas le cas. Elle sentait encore son regard fixe et pesant.

C’était tellement humiliant, la nouvelle tabassée dans une salle de casiers le premier jour. Elle détestait l’école, et elle détestait la vie. Pourquoi sa mère lui avait fait ça ? Pourquoi est-ce qu’elle ne s’était pas contentée de laisser faire les choses avec son mari ? Ce n’était pas un mec génial, mais au moins tout était normal. Ce n’était pas dangereux. Là-bas, Saki ne ne risquait pas d’être tabassée dans la salle des casiers par une bande de filles qui se comportaient comme des voyous. Pourquoi est-ce que sa mère avait tout gâché ?

Elle avait vraiment très envie de pleurer. Ses yeux brûlaient et sa gorge lui donnait ce sentiment d’être à vif, comme si elle était sur le point d’éclater dans un flot de larmes incontrôlable. Mais elle ne le ferait pas. Elle était déterminée. Finalement, elle attacha son cadenas; elle saisit son sac, elle passa devant M. DeMarco en lui jetant un regard, puis elle pénétra de nouveau sur le campus hostile;

Saki regardait partout, elle regardait tout sauf le visage des élèves. Elle ne savait pas qui était au courant de ce qu’elle venait de traverser, mais elle était sûre que certains d’entre eux savaient. Elle ne pouvait pas supporter leurs regards complices. À la place, elle regardait la pelouse sur la gauche.

L’herbe était luxuriante et verdoyante, et elle s’étendait vers le terrain ouvert. C’était le même terrain que celui qu’elle avait vu quand elle était dans la camionnette, et les élèves faisaient des tours de piste. Même à cette distance, elle ne pouvait pas supporter qu’ils la regardent, alors elle se tourna vers le bâtiment qui se tenait devant elle.

Il lui faisait penser à une caserne militaire, exception faite de ses portes arborant des couleurs vives. Là où elle avait suivi son cours de chimie, la porte était rouge. Entre celle-ci et l’autre porte, il y avait des blocs en béton définis et peints comme les lignes de séparation blanches. Après une autre partie en béton, il y avait la porte bleue. Ensuite, il y avait une porte jaune, puis une rouge. C’était le bloc.

Le surplomb situé au dessus portait un liseret jaune, et un toit en métal et en aluminium qui était le même sur tous les blocs. Plus loin, il y avait une espèce de conifère. Sa taille dépassait de 6 mètres celle des bâtiments. Un autre grand arbre poussait sur la droite, au sommet de l’autre colline.

Un autre bâtiment aux murs beiges décolorés par le soleil se cachait derrière cet arbre. Il ressemblait plus à une cabane. Elle se rappela de ce bâtiment à l’époque où elle était enfant. C’était une boulangerie gérée par un des moines. Sa mère l’emmenait là-bas pour acheter des friandises. C’était le seul bon souvenir qu’elle avait de cet endroit.

Lorsque Saki regarda vers l’avant, elle s’aperçut qu’elle se trouvait derrière le bâtiment administratif et qu’elle était à côté de la croix géante. Elle trouva que ça convenait parfaitement après avoir été tabassée pour rien. Elle laissa tomber son sac sur le banc vide, puis elle s’assit. Elle était censée attendre ici qu’on vienne la chercher. Elle essaya de ne penser à rien pendant qu’elle était assise, mais une myriade de pensées surgirent insidieusement.

 

 

Chapitre 2

 

Saky était couchée sur le côté, la tête tournée vers le plafond en crépi. La torsion de son corps soulageait un peu la douleur. Elle était vraiment contente de s’être battue pour avoir cette chambre. Avec trois chambres dans la maison, dans un premier temps elle s’était vue attribuer le canapé-convertible du salon.

Sa mère avait promis deux choses : un canapé-convertible confortable pour Saki et un téléphone portable pour chacun des enfants. Les filles attendaient toujours les téléphones, et Saki soupçonnait que le canapé qu’ils avaient actuellement était le seul qu’ils auraient jamais. Étant donné que sa mère pensait que la jeune fille ne resterait qu’une année de plus avant d’aller à l’université, elle pensait que chacune des jumelles devait avoir sa propre chambre. Elle semblait incapable de comprendre pourquoi Saki pourrait s’y opposer.

Cependant, celle-ci ne pouvait pas laisser ça se produire. Le fait d’avoir été ramenée de force sur cette île était déjà suffisamment moche ; elle ne pouvait pas laisser ses chagrins et ses déceptions devenir visibles pour que sa mère et ses sœurs les jugent.

Maintenant qu’elle pansait ses plaies, elle pensait à ce qu’elle s’était efforcée de refouler de toutes ses forces : la bagarre, l’isolation, le fait d’avoir été arrachée à ses amis et amenée dans un endroit où elle ne se sentirait jamais bien. Le poids de toutes ces choses s’abattit sur elle, et la pression lui coupa le souffle. La sensation d’avoir la gorge à vif ressurgit. Les larmes qu’elle avait tellement bien réussi à retenir s’échappaient à présent. Au moment où son nez se mit à couler et où son visage commença à la picoter, sa poitrine se souleva, libérant un flot de larmes silencieuses. Ça faisait tellement mal. Tout dans la vie faisait tellement mal.

Sans prévenir, la porte de sa chambre s’ouvrit à la volée. Tournant le dos à cette dernière, elle se battit pour arriver à se contrôler. Peu importe de qui il s’agissait, elle savait qu’elle ne pouvait pas montrer une preuve de faiblesse. Sa mère et ses sœurs l’utiliseraient contre elle d’une manière ou d’une autre. Elle en était certaine.

“Hey Saki, est-ce qu’il y a un mec blond mignon dans ta classe ?”, lui demanda Bonnet Blanc. “Une des filles de ma classe m’a dit que c’était un élève de terminale, et il est trop beau”, dit-elle en insistant sur ses derniers mots.

Cette question apprit deux choses à Saki. Premièrement, il était évident que sa sœur avait passé une bien meilleure première journée qu’elle. Elle s’était fait une nouvelle amie et elle avait eu une conversation suffisamment amicale pour parler de choses banales comme les garçons.

Deuxièmement, sa sœur n’avait pas entendu parler de son agression dans la salle des casiers. Si elles n’étaient pas au courant, Saki avait au moins une chance de préserver sa fierté en face de sa famille.

“Dégage !”, cria Saki avec une voix qui ne donnait pas l’impression qu’elle était en train de pleurer. “Ou passe si tu veux aller dans le salon. Tu n’as pas vu que ma porte était fermée ? Sors de ma chambre !”

Le silence ne donnait aucun indice quant aux intentions de Bonnet Blanc. Saki écouta, tout en utilisant ce moment de flottement pour se reprendre et pour essuyer ses larmes.

Elle savait que si sa sœur ne partait pas, elle pourrait toujours la faire sortir sans montrer son visage plein de larmes. Pourtant, elle ne pouvait pas permettre à cette dernière d’avoir une occasion de de concentrer son attention sur elle. Elle devait tout faire d’un seul coup. Alors lorsqu’un autre moment passa sans que les choses ne bougent, Saki jaillit hors de son lit, ignorant ses grandes douleurs, puis elle se tourna vers sa sœur et elle se rua vers elle comme si elle était un taureau.

“Sors de ma chambre !”, cria Saki avant de peser de tout son poids contre sa sœur. Malgré ça, cette dernière ne fit pas un geste. Elle tenait bon, elle se cramponnait à l’encadrement de la porte et elle empêchait Saki de la pousser vers le salon. “Dégage ! Dégage !”, Saki utilisa tout son poids pour faire bouger sa sœur, mais elle ne céderait pas.

“Maman ! Saki est en train de me taper !”, cria sa sœur.

“Maman, dis-lui de sortir de ma chambre !”, cria Saki en réponse.

Elles luttaient toutes les deux, mais Saki n’arrivait pas à gagner un centimètre. Cependant elle n’abandonnait pas. Le fait de faire valoir son intimité était trop important pour elle. Elle avait besoin que sa sœur sorte. Elle avait besoin de son espace, d’un refuge où elle n’aurait pas à s’inquiéter de ce quelqu’un d’autre allait dire. Elle ne pouvait pas abandonner la lutte dont le but était de faire sortir sa sœur.

“Maman !”, cria de nouveau sa sœur. Cette fois, son cri fut suivi par des pas lourds sur le plancher et par une bousculade qui envoya les deux filles dans la chambre.

“Lâche ta sœur. Lâche ta sœur !”, entendit Saki avant qu’une serre charnue ne saisisse son bras et ne la tire sur le côté. “Qu’est-ce que je t’ai dit à propos du fait de frapper ta sœur ?”

“Je n’étais pas en train de la frapper. Elle était dans ma chambre.”

“Et qu’est-ce que vous étiez en train de faire quand je suis entrée ?”

“J’essayais de la faire sortir. “Cette saloperie…’

C’est à cet instant que Saki sentit une douleur aveuglante qui irradia à travers ses yeux. Elle chancela, hébétée. Elle était interloquée. Elle ne savait pas ce qui s’était passée. Elle concentra ses yeux larmoyants et elle découvrit le visage austère de sa mère qui la regardait. Soudain, elle vit la main de cette dernière reprendre de l’élan et la frapper au visage pour la deuxième fois.

Saki était sous le choc. Ce n’était pas la première fois que sa mère la frappait, mais cette fois il y avait quelque chose de différent. Un côté barbare d’une certaine manière.

Elle ne savait pas quoi dire. Elle n’avait plus envie de pleurer ; les larmes venaient d’un lieu innocent. Le coup que sa mère lui avait porté l’avait transporté ailleurs. Le monde était cruel. Elle ne s’en était pas vraiment rendue compte avant. On ne pleure pas dans un monde cruel, on y survit. On s’attend à de la cruauté et on y survit.

“Qu’est-ce que je t’ai dit à propos de ce langage ?”, demanda sa mère, impitoyable.

Saki fixa de nouveau sa mère sans savoir ce qu’elle devait dire. Tout était différent maintenant. La femme qui se tenait en face d’elle n’était pas sa mère, c’était l’ennemie à laquelle elle devait échapper.

Où irait-elle si elle quittait la maison ? Comment ferait-elle pour se nourrir ? Comment est-ce qu’elle obtiendrait son diplôme afin de pouvoir se libérer de cet endroit et de ces personnes pour toujours ? Elle ne pouvait pas en avoir la certitude, mais cette pensée lui donna des frissons.

En regardant sa mère et elle remarqua la manière dont le visage de cette dernière avait changé avec l’âge. Pour une raison ou une autre, il s’adoucissait. Pourquoi ? Ce n’était pas par sympathie. Ce n’était pas par compassion. Il devait s’agir d’un choix stratégique. En prenant le temps de réfléchir à la question, elle comprit.

Elle sentait quelque chose de froid couler sur ses lèvres. Cette sensation associée aux battements dans son nez lui indiquaient qu’elle était en train de saigner. Elle avait enfin une preuve de la violence de sa mère. Elle avait enfin quelque chose qu’elle pouvait montrer du doigt en disant : voilà ce qu’elle m’a fait.

En parlant d’une voix plus douce, sa mère fit un pas vers elle. “Viens là. Laisse-moi m’occuper de ça.”

Saki recula de peur que sa mère ne fasse disparaître la seule chose qui pouvait la sauver.

“Je t’ai dit de venir là”, dit sa mère sur un ton plus sévère avant de faire un autre pas en avant.

Saki recula encore d’un pas. Elle devait faire en sorte que sa mère reste le plus loin possible. Elle avait fini par l’avoir. Avec cette preuve, sa mère ne pourrait pas nier qui elle était. C’était une mère horrible.

“Laisse-moi nettoyer ça pour toi”, dit celle-ci comme s’il s’agissait d’une demande pleine de gentillesse.

“Non. Non tu ne le feras pas.”, Saki était en train d’élaborer un plan. “Non. Tout le monde va voir ce que tu m’as fait. Ça te plaît ? Maintenant tout le monde va voir quel genre de personne tu es.”

“Allez viens ici et laisse-moi nettoyer ça”, dit sa mère d’un ton qui semblait un peu plus désespéré. Mais il était trop tard, Saki savait qu’elle l’avait eue.

“Non”, Saki se tourna vers la porte de sa chambre et elle partit à toute vitesse. Sa mère bien en chair se lança à sa poursuite dans ce qui ressemblait plus à une course que ce qu’elle avait plus faire depuis des années. Saki savait qu’elle devait sortir aussi vite que possible. Son nez ruisselant était ce qu’elle avait de plus de précieux, et elle savait que sa mère voulait le lui enlever, comme toutes les autres choses qui comptaient pour elle.

Saki leva les yeux et elle trouva la porte d’entrée. Blanc Bonnet, qui était en train de regarder la télé un peu avant était maintenant debout, la bouche grande ouverte, alors qu’elle fixait Saki du regard. Elle devait la dépasser.

Elle entendit sa mère hurler à sa sœur : “Arrête-la Maddie”. Mais Saki ne pouvait pas laisser ça se produire. Elle devait s’en sortir. Une fois qu’elle serait dehors, elle savait que personne ne serait assez rapide pour la faire rentrer de force. Elle serait libre, et ensuite il serait impossible de remettre en question ce qu’elle avait traversé.

Elle se précipita pour dépasser sa sœur qui ne lui opposa aucune résistance. Elle déverrouilla rapidement la porte, puis elle s’échappa dans la brise nocturne. Elle se précipita sur le chemin en béton, entre les plantes qui lui arrivaient à la taille, en direction de l’autre côté de la clôture grillagée. C’est à ce moment-là qu’elle se retourna. Sa mère et ses sœurs remplissaient facilement l’embrasure de la porte. Elles la regardaient, en état de choc. Saki leur sourit.

Libre, elle tourna les talons avec désinvolture et elle descendit le chemin. Ses pas étaient légers. La douleur des coups qu’elle avait reçus avait disparu. Elle n’arrivait pas à croire qu’elle avait gagné cette bataille contre elles toutes. Couverte de bleus, battue et couverte de sang ? Oui. Mais malgré ça, elle avait gagné. Cette sensation de puissance lui était tellement étranger quelle ne savait même pas quoi en faire.

Elle regarda toutes les maisons pittoresques qui bordaient sa rue. Leurs fenêtres rayonnaient comme les yeux d’une citrouille d’Halloween. Elle se demanda qui seraient les personnes qui vivaient ici qui s’intéresseraient le plus à ce que sa mère lui avait fait. Est-ce qu’elle devait frapper à toutes les portes et se contenter de se montrer devant elles ? Est-ce qu’elle devait crier et faire en sorte qu’elles ouvrent leurs fenêtres à la recherche du hurlement perdu ?

Les possibilités étaient infinies. Mais alors que la décision devenait plus difficile, elle s’aperçut qu’elle était arrivée au bout de la rue. Elle était à l’angle de Belfry et de Chippingham Road. Chippingham menait à la rue West Bay, et de l’autre côté de la rue il y avait le Fish Fry.

Elle se rappelait bien du Fish Fry à l’époque où elle y venait quand elle était enfant. Il s’agissait juste d’un dock où un pêcheur avait décidé un jour de vendre des conques. Il attachait ses barques à l’appontement en béton, puis il déchargeait les mollusques et il les vendait quatre dollars la conque. Même s’il y avait déjà un endroit de ce genre sur l’île, en 30 ans le trafic était devenu énorme. Le pêcheur considérait son dock comme une solution de secours. C’était juste l’idée de cet homme.

Ce fut incontestablement une réussite puisqu’au bout de quelques semaines le nombre de pêcheurs passa de un à deux. Puis de deux à quatre. Le jour où un pêcheur décida de vendre des salades à base de conques – un mélange de conques coupées en dés, de tomates, d’oignons, de céleri et de piments assaisonnées avec du citron – tous les autres pêcheurs durent faire la même.

Le dock devint rapidement célèbre comme étant le lieu où trouver une salade fraîche à base de conques. Lorsque le premier pêcheur à l’origine de cette activité prit conscience qu’il serait plus simples de faire venir des clients si on leur proposait un endroit où s’asseoir et où manger la fameuse salade, il construisit une petite cabane et il mit quelques chaises devant cette dernière.

Après ça, la course était lancée. Chacun des pêcheurs fit en sorte d’avoir une cabane, et ils mirent tous des chaises dehors. Rapidement, la petite cabane s’avéra insuffisante. Ce dont ils avaient besoin, c’était d’un petit restaurant dans lequel ils pouvaient inviter les gens à entrer, même en cas de pluie.

Les restaurants apparurent encore plus rapidement que les cabanes. Lorsque la communauté vit que le dock n’était plus exclusivement réservé au pêcheur, des cabanes et des restaurants firent leur apparition. Des bâtiments d’un étage devinrent des bâtiments à deux étages, et les plats simples d’un pêcheur connurent une évolution fulgurante jusqu’à devenir certains des meilleurs restaurants de l’île. Le Fish Fry, du nom qui le rendit célèbre, était à présent une rangée de restaurants. Il débordait encore du charme local et de routes de carrières, mais c’était également devenu l’endroit où être.

Ce genre d’endroit était nouveau pour l’île. Pendant des années, tout avait avait été construit pour les touristes qui venaient sur l’île en avion et par bateau. Il n’existait aucun endroit permettant à la population locale de se réunir tout simplement dans le but de passer un bon moment. Lorsque le gouvernement, qui cherchait toujours à s’attirer les bonnes grâces de la communauté, constata le popularité du Fish Fry, il affecta des policiers dans ce secteur et il ouvrit le champ voisin à tous ceux qui voulaient venir et se promener en soirée pour rencontrer des gens.

C’était au Fish Fry que Saki devait aller et brandir son nouveau pouvoir. Des centaines de personnes devaient être en train de se promener, et tout le monde la verrait couverte de sang et de bleus et se demanderait qui lui avait fait ça. Si on lui posait la question, Saki savait qu’elle ressentirait de la satisfaction en disant : “C’est ce que m’a mère m’a donnée.” Elle savait que ce serait sa plus grande victoire.

Elle avança sur le trottoir peu éclairé de Chipingham pour la première fois depuis des années. Elle observa les arbres qui bordaient ce trottoir orné de buissons, contrairement à ce qu’elle avait connu en Caroline du Nord. Ils étaient plus touffus. Même s’ils avaient l’air plus verts, ils semblaient aussi plus exposés aux intempéries. Peut-être qu’il s’agissait de l’effet provoqué par le fait de les voir d’aussi près, mais ils dégageaient quelque chose de rassurant et d’envoûtant.

Lorsque les rangées d’arbres s’arrêta brusquement au niveau du champ ouvert, elle sut qu’elle était bientôt arrivée. La lumière du Fish Fry inondait l’espace vert et éclairait son chemin, et elle entendit la musique.

Là-bas, il y avait toujours quelqu’un qui jouait de la musique bahamienne. Elle avait oublié ça. La rythmique des cloches de vache et du “scraping”, comme on l’appelait, était apaisante. Elle continuait à penser qu’il s’agissait de la musique des peuples anciens. Elle préférait le dernier boys band, et de loin, mais elle ne pouvait pas nier qu’il y avait quelque chose dans la musique bahamienne qui lui disait qu’elle était chez elle. En l’entendant de nouveau pour la première fois, elle se sentit mieux.

En traversant la rue West Bay et en entrant sur le terrain du Fish Fry, elle fut encore plus surprise. Il s’était encore développé depuis la dernière la fois où elle l’avait vu. Les structures en bois à deux étages étaient toutes peintes aux couleurs traditionnelles de l’île – turquoise, rose clair et jaune vif. Les tables situées sous le porche, devant le restaurant, étaient pleines d’hommes qui riaient et qui buvaient. Les balcons du deuxième étage accueillaient des tables éclairées à la bougie et de couples souriants. Tout le monde semblait passer un bon moment.

Saki détourna son attention des 10 ou 15 restaurants qui bordaient le bord de la jetée. L’affluence était un plus inattendu. C’était un soir de semaine, et on avait l’impression qu’il y avait encore plus de 200 personnes sur le dock.

La plupart d’entre elles s’étaient simplement garées et se mêlaient à la foule dans le champ. D’autres se promenaient sur le chemin des carrières devant les restaurants. D’autres encore restaient assis sur le bord de la jetée, après les restaurants. Saki n’était pas préparée à toute cette activité.

Elle avança en examinant les visages des gens qu’elle croisait. Elle n’avait pas vu autant de teints de couleur chocolat réunis depuis un long moment. Ces visages possédaient quelque chose qui les différenciaient des personnes noires qu’elle avait connues en Caroline du Nord. Ici, ils avaient l’air plus foncés. Peut-être que cela venait du fait qu’ils étaient des descendants plus directs des esclaves africains. Peut-être que c’était à cause du soleil brillant des Bahamas.

Quoi qu’il en soit, la différence était nette. Beaucoup de ceux qui passaient à côté d’elle auraient été profilés comme étant des criminels en Caroline du Nord. Ils étaient incroyablement minces et noirs comme le charbon, mais à ses yeux tout était beau parce que c’était ce qu’elle connaissait.

Saki traversa péniblement la marée humaine, obtenant à l’occasion un signe de tête, preuve de reconnaissance. Ce n’était pas que son traumatisme les laissaient froids. Le Fish Fry était un lieu où échapper à tout, et ils attendaient qu’il en alle de même pour la petite fille ronde à la peau claire avec du sang séché sur les lèvres.

Saki aperçut un banc vide qu’elle s’appropria. D’ici, elle pouvait voir tout le champ et tous les restaurants. Elle pourrait passer la soirée ici. La vue été indéniablement apaisante pour elle. Tous les combats qu’elle avait dû mener pour la trouver ne semblait pas compter. Elle était là maintenant, et elle pouvait sentir les muscles de son cou et de ses épaules se relâcher.

Elle resta assise à cet endroit pendant une demi-heure, en profitant de tout. Elle n’osait pas penser à quelque chose de précis par peur de perdre ce sentiment de quiétude. Mais au fond de son esprit, elle était en train de chercher des solutions.

Comment elle pouvait revenir dans la maison de sa mère avait été solutionné. Comment elle pouvait faire face à une autre journée de cours avait été solutionné. Comment elle pouvait passer non seulement un jour de plus, mais une semaine de plus dans ce nouveau pays avait été solutionné.

Une fois que toutes ces questions furent solutionnées, il se produisit quelque chose d’intéressant. Son regard sur le pays changea. Pour la première fois, elle vit à quel point il était beau. La lune presque pleine reflétait la vie sur les eaux calmes. Les arbres se balançaient doucement dans la brise, tandis que le rythme léger d’une musique insulaire envoûtante se faisait entendre en fond sonore. C’était vraiment un endroit magnifique. Si elle devait être arrachée à tout ce qu’elle connaissait, pour la deuxième fois, au moins ça avait été pour l’amener ici. Au moins on l’avait ramenée chez elle.

“Tu es la nouvelle de ma classe, c’est ça ?”, dit une voix avec un léger accent.

Saki leva les yeux, le leader des mecs blonds de sa classe principale se tenait devant elle. En le voyant sans son uniforme et sans qu’il soit entouré par ses amis, il était évident que c’était lui le mec mignon dont avait parlé sa sœur.

Il était vraiment beau. Ses traits anguleux et ses pommettes hautes étaient hâlés de manière uniforme. Son corps mince et bien fait correspondait exactement à l’image qu’elle se faisait du corps d’un mannequin. Il était aussi séduisant que les mecs qui n’avaient jamais remarqué sa présence en Caroline du Nord. Alors qu’il la regardait avec franchise, elle se demanda s’il la confondait avec quelqu’un d’autre.

“Tu as commencé aujourd’hui, pas vrai ?”

Toujours persuadée qu’il était impossible qu’il parle d’elle, elle répondit : “Oui, j’ai commencé aujourd’hui.”

“C’est ce qu’il me semblait.” Il se pencha vers son visage comme s’il cherchait quelque chose. “Tu saignes ?”

Ce n’est qu’à cet instant que Saki se rappela du sang séché sous son nez. Elle leva les mains pour se cacher. Elle était humiliée. Sa ténacité avait disparu depuis longtemps, et encore elle n’aurait jamais imaginé qu’une personne comme lui la trouverait. Elle avait envie de partir en courant.

“Non, laisse-moi voir”.

Le cœur de Saki battit la chamade lorsqu’il enveloppa son poignet de sa main douce et puissante. En même temps, elle ne pouvait pas résister. Il écarta doucement sa main. Même si elle savait qu’il était en train de regarder son visage ensanglanté, la seule chose à laquelle elle pouvait penser, c’était la sensation procurée par le contact avec sa peau.

Ce mec superbe la contrôlait doucement, et sa respiration s’accéléra. Il se pencha vers elle et il se rapprocha, elle n’arrivait pas à se concentrer sur autre chose que la manière dont la lumière projetait des ombres sur son cou. Les parties de son corps qu’elle avait toujours ignorées devenaient indéniables à présent. Elle n’était pas sûre de ce qu’elle ressentait, mais baignée dans la chaleur de ce mec charmant, elle voulait plus.

“Est-ce que tu veux que j’aille chercher quelque chose pour nettoyer ça ?”, demanda-t-il amicalement.

Saki chercha une réponse. Si elle rejetait la proposition, ça voulait dire qu’elle voulait s’assoir ici, couverte de sang. À quel point ça aurait l’air bizarre ? Mais et si elle acceptait son aide ? Il serait entraîné dans sa vie dramatique. Elle était certaine qu’il ne voudrait plus entendre parler d’elle après avoir eu un aperçu de cette dernière.

“Hum… Ouais. Merci.”

“Tu veux venir avec moi ? On pourrait probablement trouver quelque chose dans un des restaurants.”

“Ah… Bien sûr.”

Saki se leva, totalement absorbée par le contact avec sa peau. Il ne lâchait pas son bras. Il était doux, mais toujours présent. Saki déglutit nerveusement en remarquant que son visage semblait être en feu, même dans la brise fraîche océanique.

Le garçon la lâcha et il marcha devant elle lorsqu’ils entrèrent dans le premier des restaurants. Il s’avança jusqu’au bar et il se pencha, tout en limitant également la force à laquelle il devait crier pour attirer l’attention du barman. Tout en jetant un coup d’œil à Saki, le barman à la peau sombre glissa sa main d’avant en arrière sous le bar, puis il sortit une serviette que le jeune garçon pris dans ses mains.

En lui faisant signe de venir au lieu de la rejoindre, il resta au bar. Saki, en passant devant les tables des patrons, fut guidée vers le siège libre au bout du bar.

“Laisse-moi m’occuper de ça pour toi”, dit-il en plaçant son doigt au bord du linge doux.

Saki était incapable de répondre. Elle était même incapable de bouger sa bouche. C’était tellement intime. Elle se dit que c’était comme ça qu’une personne devait traiter quelqu’un qu’elle appréciait. Elle était extrêmement nerveuse. Tout ce qu’elle put faire, ce fut s’asseoir et le regarder, en attendant.

Il essuya son visage avec douceur. Une douceur incroyable. C’était comme s’il avait déjà fait ça avant. Quand elle sursauta au moment où il se rapprocha trop près de son nez, il s’excusa et il la regarda droit dans les yeux, évaluant ainsi sa réaction pendant qu’il finissait de nettoyer son visage.

“Voilà, c’est bon. Ça va ?”

Saki savait qu’elle devait dire quelque chose, alors elle se força. “Ouais, je vais bien.”

Le silence devint plus profond tandis qu’ils s’observaient mutuellement. C’était tout ce qu’elle avait pu se forcer à dire. Le jeune garçon jetait des regards furtifs sur son visage et semblait satisfait par le simple fait de la regarder. Mais au moment où Saki se souvint de toutes les imperfections qui s’étalaient sous ses yeux, elle détourna le regard.

“Je suis désolé”, dit-il, gêné. “Je n’avais pas l’intention de te dévisager.”

Saki se demanda pourquoi il l’avait fait. Est-ce c’était son visage potelé qui l’amusait ? Est-ce qu’il n’arrivait pas à croire à quel point son physique était comique ?

“C’est juste que tu sens tellement bon. Je suis désolé, ça a sûrement l’air bizarre. Je vais te laisser maintenant.”

“Non”, supplia-t-elle, de manière un peu plus énergique que ce qu’elle avait prévu. “Non, c’est gentil. Toi aussi tu sens bon”, dit-elle dans une tentative désespérée de lui retourner son compliment.

Il eut un petit rire et il secoua la tête en essayant d’effacer tout ce qui venait de se passer. “Non, tu sais quoi, oublie ce que j’ai dit. Tu veux aller dehors et marcher ?”

“Oui, avec plaisir.”

Le garçon marcha devant Saki et l’accompagna jusqu’à la sortie. Saki l’observait. Il portait une chemise de marque bleue dont il avait roulé les manches longues. Il avait un short kaki et des chaussures bateaux grises. Ça lui rappela les beaux garçons qu’elle voyait à la télévision, et elle n’arrivait toujours pas à croire qu’il était en train de lui parler.

Une fois dehors, Saki le rattrapa. Ils marchèrent en silence pendant un moment avant qu’il ne se tourne vers elle pour lui demander son nom.

“Sakina. Mais tout le monde m’appelle Saki. Et toi ?”

“Dax.”

Le silence tomba pendant Saki réfléchissait à ce qu’elle pouvait dire ensuite. Avant ça, elle n’avait jamais été à court de mots, mais à cet instant elle remettait en question tout ce qui lui venait à l’esprit. Elle ne voulait pas gâcher ce moment. Même si elle n’arrivait pas à l’expliquer, le mec le plus mignon de l’école agissait comme s’il l’appréciait, et elle voulait que ça dure le plus longtemps possible.

Ils continuèrent à marcher en dépassant la foule pour arriver sur une partie ouverte de la jetée qui surplombait les eaux.

“Tu veux t’asseoir ?”, demanda-t-il timidement.

Saki s’assit sans dire un mot. Elle observa l’eau avec Dax assis à côté d’elle. C’était magnifique. En regardant plus attentivement, la lune en train de se coucher projetait un long reflet qui scintillait en touchant les vagues qui ondulaient. La brise fraîche arriva, caressant son visage chaud qui, elle en était sûre, était cramoisi.

Elle avait envie de voir à quoi Dax ressemblait assis à ses côtés, mais elle n’osa pas regarder. Elle était trop nerveuse, et elle ne voulait tout simplement pas tout gâcher.

“Alors comment tu t’es retrouvée avec le nez en sang ?”, demanda-t-il de manière hésitante.

Elle réfléchit pour savoir ce qu’elle devait répondre, mais elle finit par opter pour la vérité. “Ma mère”, dit-elle en se tournant vers lui. Il baissa les yeux.

“Oh.”, il marqua une pause. “Mon père était comme ça.”

Grâce à ces quelques mots, Saki eut l’impression d’avoir des liens avec lui. Même si elle était venue ici pour exposer au regard du monde entier les actes de sa mère, elle n’aurait jamais pensé qu’elle trouverait quelqu’un qui comprendrait vraiment sa situation. Il semblait si parfait et complet. Elle n’aurait jamais pensé qu’il aurait traversé les mêmes épreuves qu’elle, il était la dernière personne à laquelle elle aurait pensé.

“Dax !”, appela une voix derrière eux. Ils se retournèrent tous les deux et ils virent les garçons qui entouraient Dax dans la classe principale. “On part”, dit le grand garçon.

Dax se tourna vers Saki. “Je suis venu avec eux, alors…”

“Non, je comprends.”

“Je te verrai à l’école ?”

“Seulement si je reviens”, dit-elle en essayant d’afficher un sourire ironique. Il la regarda, confus.

“Ouais, ok. Alors à un de ces jours.”

“Ok.”

Dax se leva et rejoignit ses amis. Saki les regarda lorsqu’ils se groupèrent autour de lui en discutant. Au moment où l’un d’entre eux regarda derrière lui, elle sut qu’ils étaient en train de parler d’elle. Elle ne pouvait qu’imaginer que les autres mecs étaient en train de se moquer de lui. Après tout, elle n’était pas le genre de fille avec laquelle les mecs aimaient parler, et encore moins sortir. Ils étaient probablement en train de le lui rappeler en ce moment même.

Seulement si je reviens ? À quoi est-ce que pensais ?

Saki se remit à regarder vers l’eau. Elle savait qu’elle s’était humiliée. Elle n’aurait pas dû venir ici ce soir-là. À cause de son désir de mettre sa mère dans l’embarras, elle s’était elle-même ridiculisée devant le dernier mec devant lequel elle voulait le faire.

Elle n’avait plus envie d’être ici. Elle voulait rentrer chez elle. Elle réfléchit pour savoir où était son chez elle, et à sa grande surprise, elle décida qu’il s’agissait de là où se trouvaient sa mère et ses sœurs. Elle ne comprenait pas pourquoi. Elle ne comprenait pas non plus la flamme d’espoir qui s’allumait en elle. Elle s’était humiliée devant Dax. Elle en était certaine.

N’empêche… Elle réfléchit.. Et si…?

Saki se leva du bord de la jetée et elle partit chez elle en marchant. Lorsqu’elle passa la porte bleue de la maison qu’elles louaient, personne ne fit grand cas de son retour, et elle en fut reconnaissante. Elle ferma la porte de sa chambre derrière elle et elle se laissa tomber dans son lit en pensant à Dax.

Et si…? Elle réfléchit. Et si…?

 

 

Chapitre 3

 

Le lendemain matin, Saki se réveilla, impatiente d’aller à l’école. Elle se pomponna autant que les règles catholiques conservatrices de l’école le permettaient. Elle petit-déjeuna en silence, et sa mère les déposa, elle et les jumelles, sans un mot.

Saki appréciait son silence. Elle savait qu’elle ne disait rien à cause de ce qui s’était passé la nuit précédente. Même si elle n’avait pas fait ce qu’elle voulait faire en allant au Fish Fry, elle avait réussi à modifier la dynamique de la maison, au moins de manière temporaire.

En sortant de la voiture, elle remarqua tout de suite Clint. Elle le regarda avec dérision en sachant qu’elle était devenue amie, ou plus que ça, avec le mec le plus sexy de l’école. Elle ne pensait pas que Clint aurait pu faire aussi bien au cours des six années où il avait dû le faire.

En dépassant la croix et en entrant dans la cour, elle se dirigea directement vers sa salle principale. Elle ne savait pas si Dax serait là avant le cours, mais elle l’espérait vraiment. En montant sur le trottoir surélevé situé en face de sa salle principale, elle scruta les élèves à la recherche d’une tête blonde. Il n’était pas là.

En ralentissant, elle se rappela brusquement de la bagarre dans la salle des casiers. Elle n’y avait pas pensé depuis la nuit précédente. Elle scruta de nouveau les élèves, cette fois pour chercher les filles. Comme elle ne les trouvait pas, elle continua. 

En avançant vers les bancs en béton, toutes ses peurs de la veille se remirent à tourbillonner. Comment pourrait-elle échapper aux filles si elles la poursuivait encore ? Son cœur se serra à cette pensée. Elle posa une main sur la jambe sur laquelle elle avait été frappée. La douleur avait disparu, mais les bleus étaient toujours là. 

Saki s’assit sans dire un mot à personne. Même si les élèves étaient rassemblés à quelques mètres de la porte, aucun d’entre eux ne lui dit un mot. Leur silence était douloureux.

En sonnant, la cloche lui apporta un soulagement. Elle avait 10 minutes pour se rendre en classe. Au moment où elle se leva et où elle rejoignit la foule des élèves, elle vit la fille en colère et le mauvais garçon s’engager sur le chemin menant à la classe principale. Saki attendit que la fille lève les yeux avant de détourner le regard. En la voyant s’approcher, elle s’attendit à se faire frapper. Ce ne fut pas le cas.

Peut-être qu’hier c’était quelque chose d’exceptionnel, espéra-t-elle. Lorsque M. DeMarco ouvrit la porte, Saki s’assit et attendit le seul dont elle était sûre qu’il serait gentil avec elle.

Elle tournait la tête à chaque fois que quelqu’un entrait, et à chaque fois elle était déçue. Elle regarda les places libres ; aucun des membres du groupe de Dax n’était là. Saki jeta un œil sur l’horloge située au-dessus du tableau. La deuxième cloche était sur le point de sonner. Pile au moment où la sonnerie s’arrêta, ils rentrèrent un par un. Dax fut le dernier.

“Vous êtes en retard”, annonça M. DeMarco.

Dax ne dit rien, et il ne regarda pas Saki non plus. Saki les regarda tous passer à côté d’elle et s’asseoir à leurs places. Même une fois assis, aucun d’entre eux ne se tourna dans sa direction. Tous ses fantasmes de “et si” disparurent rapidement. Lorsque les annonces du matin commencèrent sans même que Dax ne lui lance un regard, elle eut la certitude qu’il s’était rendu compte que la nuit précédente était une erreur.

Saki se tourna vers l’avant avant de regarder par-dessus son autre épaule. C’était le mauvais garçon, et pas la fille, qui le fixa en retour. Elle ne comprenait pas pourquoi, alors elle se retourna de nouveau, en espérant simplement qu’il arrêterait.

 

Le premier cours de Saki était son cours d’espagnol, une de ses options. Elle l’avait choisie parce qu’elle l’avait suivie pendant trois ans en Caroline du Nord. Elle avait déjà couvert le contenu de ce cours pendant sa deuxième année dans son ancienne école. En d’autres termes, c’était un “A” facile.

Son deuxième cours était son cours de géographie des Caraïbes, un sujet nouveau pour elle. Ça serait un peu plus difficile. Ensuite il y avait une récréation, suivie par un cours d’anglais. Son quatrième cours était son cours de chimie et la cinquième période correspondait au déjeuner. Une fois encore elle s’assit seule, et une fois encore elle souhaita que la journée se termine. Elle n’avait eu aucun cours en commun avec Dax. Mais son cours de biologie arrivait ensuite, et il y avait assisté la veille.

Au moment où la cloche sonna pour indiquer leur sixième période, Saki regarda autour d’elle, sans parvenir à trouver Dax. Cependant, le mauvais garçon était là et, de nouveau, quand elle regarda elle s’aperçut qu’il était en train de la fixer. La seule chose qu’elle pouvait imaginer, c’était qu’il complotait contre elle, en agissant sous couvert de l’impression erronée selon laquelle elle lui avait volé le médaillon.

Ou peut-être que ce n’était pas le cas, elle envisagea cette possibilité. Peut-être qu’il connaissait la vérité et qu’il ne l’avait pas raconté à ses amis. Après tout, il était là. Il devait savoir ce qui était arrivé au médaillon.

Ses derniers cours de la journée étaient son cours de mathématiques avancées et de littérature. Ils se déroulèrent sans incident, mais ça ne dura pas, en effet il se passa encore une fois quelque chose dans la salle principale. En examinant les élèves, elle attira le regard de la fille en colère. Elle avait entendu son professeur de littérature s’adresser à elle en utilisant le nom “Torkel”, et la fille avait dit à ce dernier de l’appeler “Torque”.

Torque n’arrêtait pas de la fixer du regard. Peu importe pendant combien de temps elle détournait le regard, à chaque fois que Saki regardait vers elle, les yeux de Torque étaient toujours sur elle. Ça lui donnait envie de pleurer. Mais elle ne le ferait pas. Elle avait accepté le fait que le monde était injuste, et elle ne pleurait que lorsque quelque chose d’imprévu se produisait. Le regard insistant de Torque était éprouvant, mais pas inattendu. Cette situation, c’était simplement sa nouvelle réalité. La question était de savoir ce qu’elle allait faire à propos de ça.

N’ayant aucun signe d’encouragement, Saki abandonna les “et si” qu’elle avait à propos de Dax, ce à quoi elle s’attendait également. Les mecs comme lui n’aimaient jamais les filles comme elles. Elle était trop grosse et trop bizarre pour les mecs cool.

Elle ne savait même pas pourquoi elle avait nourri cette pensée. Peut-être qu’il pouvait être gentil avec elle quand ils étaient seuls dans un endroit où personne ne les connaissait, mais pas ici, à l’école. C’était toujours comme ça avec les mecs comme lui. Ce n’était pas nouveau pour elle.

Lorsque la sonnerie de la fin des cours retentit, Saki se rua hors de la classe. Après avoir échangé ses livres dans la salle des casiers, elle se dirigea immédiatement vers la croix pour attendre sa mère. Elle s’assit sur le banc en scrutant les voitures à la recherche de leur horrible camionnette bleue avec son faux panneau en bois sur le côté. Elle n’avait jamais été aussi anxieuse de toute sa vie.

Au moment où Saki regarda derrière elle et qu’elle vit Torque et son groupe de filles en train de se diriger vers elle, elle sut que sa mère ne pourrait jamais arriver assez tôt. Saki regarda de l’autre côté, en espérant que si elle ne les regardait pas, elles pourraient passer à côté d’elle sans incident. C’est ce qu’elle espérait en tous cas. Ce ne fut pas le cas.

“Tu pensais que tu pouvais nous échapper ?”, dit une voix familière. “Tu ne peux pas t’enfuir, tu ne peux pas te cacher. Tu peux aussi tout simplement quitter l’école dès maintenant parce que je vais faire de ta vie un véritable enfer.”

Saki ne pouvait pas en supporter davantage. Ignorer cette fille ne marcherait pas. Elle devait faire quelque chose. Même si elle devait se faire frapper tous les jours, elle ne pouvait pas supporter la torture liée au fait de de devoir fuir. Les filles comme Saki s’enfuyaient toujours. Les railleries grandissantes dont elle faisait l’objet, les brutalités, tout ça allait être beaucoup trop. Elle devait se défendre. Saki ne pouvait pas en supporter davantage.

Saki saisit fermement la bandoulière de son sac à dos. Elle savait ce qu’elle allait faire. Elle attendrait que Torque soit suffisamment proche, puis elle se lèverait, elle se tournerait et elle lancerait son sac rempli aussi fort qu’elle le pourrait. Elle n’était pas certaine du résultat qu’elle obtiendrait, mais c’était mieux que de jouer encore une fois la victime. Elle était nouvelle ici Elle devait s’adapter ou mourir.

Saki écouta les moqueries se rapprocher. C’était presque le bon moment. Les filles pouvaient pratiquement tendre les bras et la toucher. Elle attendit. Elle attendit. Elle serra la bandoulière encore plus fort. Au moment où elle se leva, quelqu’un s’interposa entre les filles et elle.

“Vous avez un problème avec elle les filles ?”, demanda Dax sur un ton menaçant.

“Et si c’est le cas, qu’est-ce que tu vas faire ?”, demanda Torque sans se démonter.

“Tu sais ce que je ferai. Tu veux commencer ça ici ? Tu es sûre que tu ne veux pas en parler avec ton petit toutou ? Tu sais ce qui est sur le point d’arriver. Vous êtes toutes prêtes ? Je sais que je le suis.”

Saki écouta l’échange énigmatique, sans savoir de quoi il était question. Peu importe, ça marchait. Torque et toutes ses filles cédèrent.

“Ma fille, tu choisis mal tes amis. Tu ne sais même pas qui est ce connard. Quand tu le découvriras, il sera trop tard”, dit Torque en s’éloignant avec ses filles.

Saki les regarda partir, puis elle tourna son attention vers Dax. Voyant son attitude aux nerfs d’acier, elle n’avait jamais trouvé quelqu’un aussi séduisant. Elle l’aimait bien. Maintenant elle commençait à se dire que lui aussi il l’aimait bien.

Dax se tourna vers elle, il a la regarda droit dans les yeux et il sourit. “Tu allais la frapper avec ton sac, pas vrai ?”

“Ouais”, dit Saki avec un sourire.

“Cool.” Ils se regardèrent avec un air embarrassé avant que Dax ne se retourne pour partir. “Tu seras au Fish Fry ce soir ?”

“Peut-être.”

“J’y serai. Sans ma bande.”

“Cool.”

Saki le regarda partir. Ses larges épaules se balançaient d’un côté à l’autre, et ses hanches étroites soulignaient ses fesses arrondies. Elle commençait à avoir du mal à respirer en le regardant, pourtant elle n’arrivait pas à détacher ses yeux de lui. Elle savait qu’elle donnerait tout pour qu’il soit son petit ami.

Saki s’imagina ce que ça pourrait faire de l’embrasser, et une chaleur se développa entre ses jambes. En baissant les yeux sciemment vers sa poitrine, elle vit ses tétons saillants, et elle s’assit pour les cacher. Oui, elle le laisserait lui faire tout ce qu’il voudrait – ce soir.

 

 

Chapitre 4

 

Saki se tenait debout sous la douche alors que des gouttes d’eau chaude roulaient sur son corps nu. Elle aimait ça. Le rideau fermé dans la salle de bain verrouillée lui donnait l’impression qu’il s’agissait du seul endroit où il ne pouvait rien lui arriver. Dans la sécurité de ces quatre murs, elle laissa ses vrais sentiments faire surface. Elle laissa son esprit aller librement. Ses pensées concernaient Dax.

Les gouttes troublantes étaient les mains de Dax. Il la touchait partout en même temps, et la chaleur qu’elle sentait émaner des murs se transformait pour devenir l’éclat incontestable de sa présence. C’était comme s’il la protégeait en lui, sans même la toucher. Son corps fondait d’étre aussi proche du sien, et pourtant si loin.

Elle tendit une main et elle serra un de ses seins. Son téton dur appuyait contre la peau douce de sa paume. Son autre main toucha la chair ronde et douce de son ventre, puis elle descendit lentement.

La main de Saki glissa encore plus bas, jusqu’à ce qu’elle touche les poils sombres situés sous sa taille. Son cœur cognait à la pensée d’aller plus loin. Que diraient les gens s’ils découvraient qu’elle s’était touchée ? Que dirait sa mère ?