COMME LE DÉSIRE LA ROCK STAR

Preface

 

Note de l’auteur :

 

Lorsque Christine disparut, j’aurais dû m’activer davantage pour la retrouver. Je sais ça maintenant. Je pense souvent à la raison pour laquelle ni moi, ni aucun de ses amis n’ont essayé plus ardemment. La plupart des raisons pouvaient être attribuées à Christine elle-même. A bien des égards, Christine était une personne «unique» qui donnait l’impression que, si jamais elle disparaissait, c’était parce qu’elle ne voulait pas être retrouvée.

Je ne dis pas cela comme une excuse, cependant. Aussi optimiste qu’elle pouvait paraître de l’extérieur, tous ses amis les plus proches savaient qu’il y avait une petite fille profondément endommagée à l’intérieur. Elle souriait et riait à voix haute. Elle organisait des fêtes et des voyages. Elle était un véritable papillon social. Mais nous savions tous qu’elle avait un côté plus sombre.

La première fois qu’elle disparut aurait dû nous donner un indice que cela serait amené à se reproduire. Mais la première fois, elle nous avait mis en garde. Elle avait dit à quelques-uns d’entre nous qu’elle allait prendre un “congé sabbatique de la vie” comme elle disait. Elle ne le disait pas du tout de manière dramatique. Simplement qu’elle avait besoin d’une pause. Elle employait également les termes de séjour ou vacances, de sorte qu’aucune alerte ne fut véritablement soulevée de notre côté.

Sa disparition cette fois-ci fut, cependant, un peu différente de la dernière. Elle ne m’appela pas pour me dire où elle allait. Elle ne le dit d’ailleurs à personne a priori. Et cette fois, elle ne répondit pas aux e-mails, pas même ceux concernant des offres d’emploi. Elle disparut simplement de la face de la terre.

Une part de ma culpabilité au sujet de la disparition de Christine, et j’ai beaucoup de culpabilité, repose sur la question de savoir si oui ou non j’aurais pu faire quelque chose pour l’empêcher de partir. Je ne suis pas sûr de la réponse. Je me plais à penser que si j’avais vraiment su que quelque chose n’allait pas avec elle, alors je serais intervenu. Mais la vraie vérité dans tout cela est que tout le monde savait qu’il y avait quelque chose qui ne tournait pas rond avec elle. Il y avait des pans entiers de sa vie qui se lisaient comme dans un livre ouvert et d’autres dont le secret rendait tout opaque.

Christine s’était toujours montrée très sélective des personnes qu’elle acceptait dans son réseau social. Entrer dans son cercle était le moyen de savoir qu’elle nous considérait comme un ami. Lorsque vous étiez dans ce cercle, ses messages vous offraient un portail vers sa folle vie intérieure. Elle était une femme qui ruminait constamment plein d’idées et d’émotions. Elle publiait des choses qui nous amusaient et nous inquiétaient pour elle en même temps. Et juste avant son départ, en y repensant, ses messages auraient dû nous mettre davantage la puce à l’oreille.

Notamment, je me souviens d’elle mentionnant la manière dont son travail devenait de plus en plus imposant. Ce n’était rien de nouveau certes,  car elle bossait régulièrement au point de l’épuisement. Mais ce dont je me souviens aussi était qu’elle avait publié quelque chose comme “éliminer des choses de sa vie”.

Si je me souviens bien, elle avait dit qu’elle souhaitait retirer de plus en plus de distractions de sa vie afin d’avoir l’énergie nécessaire pour continuer son travail sans interruption. Cette publication aurait dû m’alerter mais, d’un autre côté, c’était Christine.

Peu de temps après suivit une succession rapide de messages. Ils évoquaient le fait que le projet sur lequel elle avait passé les 9 derniers mois s’écroulait. Et qu’elle avait besoin soit d’héroïne soit d’un gâteau au chocolat. Et puis, 20 minutes plus tard, elle avait publié un selfie d’elle à la boulangerie.

Ces messages incarnaient parfaitement Christine. Elle était à la fois dramatique et indépendante. Mais aucun d’entre n’aurait deviné que ce seraient ses derniers messages avant de disparaître.

En fait, non. Ce ne furent pas ses derniers messages. Si je me souviens précisément, sa dernière publication avait quelque chose à voir avec le Pérou et le fait qu’elle voulait y aller. Je l’ai juste pris comme un de ses messages sur le thème de “Demain je fais quelque chose de fou”. Et immédiatement après cela, elle avait disparu.

Considérant qu’elle avait déjà désactivé ses comptes de réseaux sociaux par le passé, la seule chose que n’importe lequel de ses amis se demandait était s’il s’agissait cette fois-ci d’une purge ou d’une désactivation. Christine était, en effet, aussi célèbre pour supprimer plusieurs gens de sa vie d’un seul coup sans aucune raison apparente. Après mûre réflexion, il avait été décidé qu’il s’agissait bien d’une désactivation de son compte, et il avait été déterminé qu’elle serait prochainement de retour.

Ma véritable préoccupation provenait du fait que beaucoup de temps avait passé depuis et que j’avais eu l’occasion de comparer les messages que j’avais reçus d’elle avec son cercle d’amis. Quelque chose qui revenait sans cesse était le fait que sa dernière mission l’avait “tuée”.

Tout le monde avait remarqué la façon dont elle déclarait cela de manière nonchalante. Lorsque quelqu’un commençait à lui poser des questions sur son projet, elle répondait simplement “ça me tue”, puis bifurquer sur un autre sujet. Alors que ses amis pensaient à sa disparition, cette phrase ne cessait de les hanter.

Ce fut après avoir entendu “ça me tue” suffisamment de fois que je commençai à envisager qu’elle avait pu se faire mal à elle-même. Je tiens à dire que j’ai rejeté l’idée parce que j’avais fermement décidé qu’elle ne ferait jamais quelque chose de la sorte. C’est ce que je veux croire. Mais la vérité est parfois tout autre.

Au moment où j’ai commencé à considérer que son travail l’avait littéralement tuée, elle avait déjà disparu depuis six mois. Et si elle s’était suicidée, ne l’aurait-elle pas fait depuis longtemps? Si elle avait voulu le faire, n’aurait-ce pas été la nuit de son dernier message? Clairement, ce soir-là avait dû être son point le plus bas, non? Si elle avait voulu le faire, ça aurait été en toute vraisemblance la nuit même où tout s’est effondré?

Ainsi, si elle s’était donné la mort la première nuit, qu’allais-je trouver en cherchant des signes de vie six mois plus tard? Si je cherchais et découvrais qu’elle s’était tuée, même avec mon esprit résolument dans le déni, j’aurais dû admettre qu’il y avait eu des signes. Et après cela, j’aurais alors dû admettre que j’aurais pu l’aider mais ne l’avais pas fait. Comment pourrais-je alors vivre en paix avec moi-même?

D’autre part, si je cherchais Christine et la retrouvais vivante, je tomberais sur quelqu’un qui, manifestement, ne voulait pas être retrouvé. Que pourrais-je lui dire? Devrais-je faire face? Demander une explication? S’enfuirait-elle à nouveau? En changeant son numéro de téléphone, elle avait clairement indiqué qu’elle ne voulait pas de moi dans sa vie. Comment être plus clair?

En vérité, ce sentiment d’abandon était la raison pour laquelle je ne m’étais pas mis à la rechercher immédiatement. Si elle était encore en vie, cela signifiait qu’elle m’avait volontairement abandonné. Elle nous avait abandonnés tous.

Elle aurait pu tendre la main à un ami si elle rencontrait des difficultés dans sa vie. Elle aurait pu me donner un signe qu’elle avait besoin d’aide au-delà d’un simple message partagé publiquement sur Facebook. J’aurais fait quelque chose pour l’aider. Je ne sais pas quoi, mais j’aurais fait quelque chose et j’aurais pu aider. Mais au lieu de ça, elle avait égoïstement disparu.

J’ai traversé de grands événements dans ma vie après sa disparition. Des événements au cours desquels j’aurais aimé avoir mon ami à mes côtés. Ne se rendait-elle pas compte de l’effet que sa disparition aurait sur les gens qu’elle avait laissés derrière?

J’aurais compris qu’elle ait besoin de prendre du temps loin de tout le monde. Nous le faisions tous de temps en temps. Mais lorsque c’était le cas, nous le faisions savoir à nos amis. De sorte qu’ils ne s’inquiètent pas s’ils n’entendaient pas parler de nous. Elle l’avait déjà fait dans le passé, si bien qu’elle était parfaitement au courant de cette pratique sociale.

Mais pas cette fois. Cette fois, elle avait complètement disparu ou s’était suicidée. Après 10 ans d’amitié, elle m’avait quitté, ainsi que nous, sans explication ni avertissement. Au moins, quand les gens se suicident, ils laissent une note. Christine avait tout bonnement disparu de la face de la terre. Je vous le demande, comment un ami est-il censé réagir face à cela?

En toute honnêteté, la disparition de Christine fit des ravages innommables dans ma vie. Je me méfie beaucoup plus des gens à présent. Je suis plus triste que je ne l’étais avant. Chaque fois que je pense à elle, je tangue sans fin entre la culpabilité et la colère, jusqu’à ce que je crie “Qu’elle aille au Diable!” et me force à la sortir de mon esprit. Ce fut un enfer.

 

Mais lorsqu’une année se transforma en deux, je commençai à penser moins à Christine. La culpabilité que j’avais pu ressentir de ne pas la chercher s’était peu à peu estompée. Et chaque fois que je passais en voiture devant son ancien appartement et voyais sa porte encore peinte bleu ciel, son souvenir remontait à la surface. Je pensais à cette porte bleue comme un signe que Christine était toujours là, mais cela aurait pu tout simplement être dû au fait que le propriétaire n’avait pas repeint après son départ.

Même après deux ans, cependant, je me demandais toujours ce qui se passerait si je frappais sur cette porte bleu ciel. Allait-elle me répondre avec la même vitalité qu’elle avait eue avant son départ, ou serait-ce un étranger qui démontrerait une bonne fois pour toute que Christine avait bel et bien disparu?

Peut-être que j’aurais dû frapper au cours de ces deux années écoulées. Cela aurait pu de mettre à jour le mystère entourant la disparition de Christine. J’aurais pu être libéré de ce doute qui s’était subtilement immiscé dans ma vie. Mais bien sûr, si j’avais fait cela, ce qui se produisit ensuite aurait été beaucoup moins étonnant.

 

Cela faisait près de deux ans jour pour jour que Christine avait disparu lorsque je décidai d’aller au Groove pour une tasse de café. C’était un samedi et je n’avais rien à faire. Je repensai alors à la façon dont Christine et moi allions prendre un café là-bas. C’était un bon souvenir. Nous en profitions pour parler de mecs ou de filles ou de la vie en général. Nous y restions des heures sans voir le temps passer. C’est pour cette raison que je m’y suis rendu pour un café ce jour-là.

Le Groove était fidèle à lui-même. Il m’avait fallu beaucoup de temps pour trouver une place de parking et la foule était importante. C’était un samedi d’été, et un groupe de musique jouait sur le monticule herbeux. Il reprenait une chanson connue et je dus tendre l’oreille par deux fois pour vérifier qu’il s’agissait bien de celle à laquelle je pensais.

Sillonnant entre les masses de gens, je remarquai que la plupart des magasins avaient changé depuis la dernière fois que j’y étais. Il y avait toujours un Gap et Nordstrom, mais de nouveaux magasins avaient ouverts comme Zara et Topman. Et comme avant, il y avait un chariot rouge lumineux qui trônait au centre de la galerie marchande.

Entrant dans le café, je commandai un thé glacé et me rendis au comptoir où les clients retiraient leurs commandes. Des couples bien habillés entraient et sortaient sans arrêt, et lorsque mon nom fut appelé, je pris mon verre et me dirigeai vers la terrasse extérieure.

Parcourant les tables du regard, je vis qu’elles étaient toutes prises. Il y avait quelques individus assis au bar, mais je n’étais pas assez entreprenante pour me joindre à eux. Au lieu de cela, j’attendis une minute qu’un couple de personnes âgées se lève, et vint m’asseoir à leur place.

Bien que les quelques jours précédents avaient été particulièrement chauds, ce jour-là était à la température idéale. Le siège était resté en plein soleil mais me réchauffait tendrement. Et me penchant en arrière pour profiter pleinement de cet après-midi ensoleillé, j’étendis mes jambes.

Je donnai accidentellement un coup de pied dans la chaise devant moi, et regardai la femme de dos afin de déterminer si je devais m’excuser auprès d’elle. Elle bougea, et j’offris rapidement un «pardon» en espérant qu’il suffirait. Elle ne se retourna pas et je pensai donc que c’était le cas.

Mon regard s’attarda, toutefois, sur le contour de son corps. Il y avait quelque chose de familier dans sa silhouette qui m’interpella. Mon cœur se mit à battre la chamade sans que je ne sache pourquoi. Et lorsque je compris enfin, mon sang ne fit qu’un tour.

«Ce n’est pas possible», pensai-je. Mais les hanches rondes et le haut de son corps correspondaient. Ses cheveux étaient coupés un peu différemment, mais la texture et la couleur étaient les mêmes. Je ne sus ce qu’il fallait faire ensuite, tout en ayant en tête qu’elle pouvait, à tout moment, se lever et partir.

Je devais réagir. Je ne pouvais pas laisser échapper une si belle occasion. Me forçant à me lever, je contournai légèrement sa table pour obtenir une meilleure vue. Elle était bien là et semblait attendre quelqu’un. Mais n’ayant toujours pas un aperçu clair de son visage, je me déplaçai encore un peu.

Me penchant à droite, je me rapprochai de plus en plus. Son profil apparut dans ma ligne de mire et mon cœur redoubla la cadence. Le bas de son visage réduisit quelque peu ma vue. Mais lorsqu’elle leva les yeux, et que son visage en forme de cœur et couleur caramel s’afficha distinctement, je fus immédiatement certaine.